Deux jeunes de 25 et 17 ans ont été abattus dans une cave de la cité Soubise. Douze personnes sont en garde à vue et l’hypothèse d’un règlement de comptes sur fond de trafic de drogue reste privilégiée.
Dans le quartier du Vieux-Saint-Ouen il était Sosso, plutôt que Sofiane. Un diminutif affectueux comme l’était ce jeune homme de 25 ans de l’avis d’habitants et de nombreuses personnalités locales. « Un jeune adorable, un bel esprit », résume Jacqueline Rouillon, ancienne maire (PCF) de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et très proche de la victime. La courte vie de Sofiane Mjaiber s’est arrêtée tragiquement dans la nuit de lundi à mardi, dans le quartier où il vivait toujours, la cité Soubise, dans une tour de 15 étages qui surplombe la partie la plus ancienne de la ville.
Sofiane a été abattu froidement. Il a été découvert par la police peu avant minuit dans l’une des caves d’un immeuble. Une balle dans le thorax. A ses côtés gisait une autre victime, Tidiane Bagayoko, 17 ans, liquidée tout aussi sèchement de plusieurs balles dans la poitrine et au cou. Tidiane était originaire de la cité Arago à Saint-Ouen.
Les policiers qui ont découvert les corps avouent : « C’était une véritable boucherie. » Une dizaine de douilles de 7,65 ont été retrouvées au sol. L’auteur est toujours activement recherché. « Douze personnes sont en garde à vue pour meurtres et tentative de meurtre en bande organisée », indique le parquet de Bobigny.
Un seul homme a été vu en train de pénétrer dans l’immeuble et se diriger déterminé vers les caves, armé d’un petit calibre. « Il savait où il allait et qui il allait trouver. C’est une exécution », indique une source proche du dossier. L’enquête a été confiée à la brigade criminelle. L’hypothèse d’un règlement de comptes sur fond de trafic de drogue reste privilégiée. Le quartier Soubise est l’un des gros points de deal de Saint-Ouen. Une source proche du dossier affirme que « le plus âgé (NDLR : Sofiane) était identifié comme étant le chef du réseau local du trafic ».
Quoi qu’il en soit, les secours arrivés sur place peu de temps après ne sont pas parvenus à ranimer les victimes. Le tueur a blessé un autre jeune : un adolescent de 16 ans, touché aux jambes par un tir. C’est lui qui aurait fourni les indications permettant de localiser les corps de Sofiane et Tidiane.
Engagé dans une association et membre du PCF
Immédiatement, l’effroi et l’abattement se sont emparés du quartier Soubise. La personnalité de Sofiane y est pour beaucoup. Sous le choc, Jacqueline Rouillon confie : « Je ne veux pas y croire. Pas lui. Il avait trop envie d’avoir une belle vie. Il avait d’ailleurs repris des études en BTS commerce et ressources humaines, mais il n’était pas parvenu à trouver un maître de stage cette année, comme beaucoup de jeunes. »
C’était aussi un compagnon de militantisme. Il avait pris sa carte au PCF et il était membre de l’association Citoyens solidaires. « Il était très présent dans la vie locale, mais il ne s’est jamais présenté sur une liste », précise-t-elle. L’ancienne maire veut retenir surtout sa personnalité « attachante ». « Tout de suite, il déclenchait la sympathie ». Denis Vemclefs, élu d’opposition, renchérit : « Nous avions beaucoup de discussions sur l’avenir des quartiers populaires. Il avait une réelle conscience politique. »
Tidiane, qui a été abattu à ses côtés, était un jeune du quartier Arago. Plus jeune, il suscitait aussi la sympathie, jusque dans les rangs de certains policiers de Saint-Ouen : « Quand on le contrôlait, il était toujours respectueux. On était tous dégoûtés d’apprendre sa mort », confie un fonctionnaire.
Ce mardi matin, au pied de l’immeuble, un vieux fauteuil marron est toujours là, indifférent aux va-et-vient. « Les jeunes squattent tout le temps là, ils trafiquent, ils ne laissent pas les gens rentrer chez eux », tonne une vieille dame du quartier.
« Dans tout Saint-Ouen, c’est l’enfer »
Des proches des victimes se présentent aux policiers encore nombreux, devant la tour de 15 étages. Deux hommes s’enlacent et pénètrent ensemble dans l’immeuble. Un peu plus tard, une femme sanglote et manque de s’effondrer. Elle s’éloigne au bras d’un homme. « Tout le quartier est en deuil, cette famille est connue ici », assure une habitante.
La veille, en début de nuit, une voisine raconte avoir été alertée par des cris de femme. Très vite, elle a vu débouler « une cinquantaine de policiers » qui ont sorti deux victimes de l’immeuble. « Ils ont essayé de les réanimer pendant une bonne heure et puis ils ont mis un drap sur les corps. J’ai pas pu dormir après ça », raconte-t-elle.
Ce nouvel accès de violence illustre l’interminable guerre de territoire pour le contrôle des juteux points de stups de Saint-Ouen. Depuis juin, les règlements de comptes à coups d’arme à feu n’ont pas cessé dans la cité. Début juillet, un homme d’une trentaine d’années avait été touché par des tirs dans le dos et était resté un moment dans le coma.
« Dans tout Saint-Ouen, c’est l’enfer, s’enflamme une habitante de la place d’Armes, à quelques mètres des lieux du double meurtre. Du calme, on veut du calme. » A la demande du maire (PS) Karim Bouamrane, le préfet a fait déployer des effectifs de police supplémentaires dans le quartier du Vieux-Saint-Ouen ce mardi soir.