Déclaré coupable par un tribunal de New York en début d’année, le narcotrafiquant mexicain Joaquín Guzmán devra attendre le 17 juillet pour être fixé sur son sort. El Chapo risque la perpétuité aux Etats-Unis pendant qu’au Mexique se vendent des statuettes à son effigie et des chansons à son sujet.
Le narcotrafiquant mexicain Joaquín Guzmán, El Chapo, ne sait pas encore s’il finira sa vie en prison aux Etats-Unis. L’ancien leader du cartel de Sinaloa avait été déclaré coupable de narcotrafic par un tribunal de New York en début d’année. Mais il devra attendre le 17 juillet pour être fixé sur son sort. C’est alors seulement que le juge prononcera la peine à son encontre. L’ancien leader du cartel de Sinaloa, qui s’était évadé de prison au Mexique, risque la perpétuité aux Etats-Unis. Mais à Culiacan, dans la capitale de l’Etat mexicain du Sinaloa, on vend des statuettes à son effigie, et malgré la violence chronique liée au crime organisé, la culture populaire s’est imprégnée d’une certaine fascination pour les narcotrafiquants, qui ont leur saint patron, leur cimetière, et leurs chanteurs attitrés. Une nouvelle génération de musiciens perpétue ainsi la tradition des « narcocorridos », un sous-genre du norteño-corrido, une musique folk traditionnelle du nord du Mexique, à partir duquel plusieurs sous-genres ont évolué. La base rythmique de ce genre né vers 1995 et peu apprécié des autorités est une polka dansable à l’accordéon, détaille Wikipédia.
A l’origine, les corridos étant des chants populaires traditionnels qui vantaient les exploits de héros, comme le révolutionnaire Pancho Villa.
Reportage de notre correspondante au Mexique, Emmanuelle Steels.
Vidéo de la grande star actuelle du genre, El Komander >
« Ce n’est pas parce qu’on écoute cette musique qu’on va empoigner une arme et tuer des gens »
Une évasion de prison, un homme qui défie l’autorité, des kalachnikovs et des grenades : tous les ingrédients d’un bon « narcocorrido » sont réunis. Cette chanson encense le personnage d’El Chimal, un associé d’El Chapo au sein du cartel de Sinaloa : c’est l’un des derniers succès de Colt, un groupe de jeunes musiciens de Culiacán, la capitale de cette région qui a vu naître plusieurs grands barons de la drogue. Ce « narcocorrido » a été commandé à Colt par la famille d’El Chimal, mort lors d’un affrontement avec les militaires. D’après Ebriel, le chanteur et guitariste du groupe, ces chansons ne font pas l’apologie du narcotrafic ou de la violence :
Fait-on des personnages de nos chansons des modèles à suivre? Ça dépend de la personne qui l’écoute, de la distance qu’elle est capable de prendre… Mais ici, tout le monde écoute des « narcocorridos », et ce n’est pas parce qu’on écoute cette musique qu’on va empoigner une arme et tuer des gens. Je vous l’assure !
Les épopées d’aujourd’hui
Anajilda Mondaca, chercheuse de l’université de Culiacán, étudie les « narcocorridos » depuis plus de vingt ans. Elle les décrit comme les épopées d’aujourd’hui :
Les « narcocorridos » existent parce que le narcotrafic existe. On ne peut pas les ignorer : ces chansons racontent tout ce qui survient dans les milieux du narcotrafic. Et de manière explicite. Les « narcocorridos » ont une valeur en tant que récits, en tant que documents, car c’est une plongée dans l’univers des cartels, et on y trouve toutes les nouvelles qui ne sont pas publiées dans les médias traditionnels.
Le chanteur Bulfrano Moreno, alias El Lobito de Sinaloa, a 24 ans de carrière derrière lui. Il a renoncé à composer des « narcocorridos » après avoir vu trop d’artistes se faire assassiner pour leurs chansons. Mais une commande, quand elle vient des fils d’El Chapo, ne se refuse pas, explique-t-il :
J’ai enregistré une chanson pour les fils du Chapo. C’était il y a longtemps. Ils m’ont attendu à la fin d’un concert et ils m’ont demandé de leur composer un corrido. Ils m’ont demandé mon prix, j’ai dit 5 000 dollars et l’affaire était conclue. Après, ils m’ont fait passer le message : la chanson leur avait plu. Le titre s’appelle “Les deux héritiers”.
« Ils ne sont pas perçus comme des figures criminelles, mais comme des bienfaiteurs du peuple »
A Culiacán, on trouve des figurines à l’effigie d’El Chapo : ces souvenirs sont vendus à l’extérieur de la chapelle de Jesús Malverde, un haut lieu de la narcoculture. Ce Robin des Bois du Sinaloa, personnage légendaire de la fin du XIXe siècle, est considéré comme le Saint patron des narcos. La dénommée chapelle est un bâtiment aux murs vitrés rempli d’offrandes et de bustes de ce bandit élégant, à la fine moustache et à la chemise blanche.
D’après ce visiteur de la chapelle, le culte de Malverde comme la fascination pour El Chapo sont des éléments essentiels de la culture locale : ils ne sont pas perçus comme des figures criminelles, mais comme des bienfaiteurs du peuple. Les remerciements gravés sur des plaques ou griffonnés sur des billets de banque en témoignent.
A Culiacán, tout le monde n’écoute pas des « narcocorridos » et ne cautionne pas le style de vie criminel. Il y a une majorité d’habitants qui déplorent la violence. Mais ils auraient trop peur de le dire. Alors le silence règne. Comme il plane sur les Jardins d’Humaya, le cimetière connu comme étant celui des narcos. Là, il y a des travées entières de mausolées fastueux et de temples tape-à-l’œil.
Les portraits des défunts et les dates figurant sur ces monuments montrent qu’ils sont morts alors qu’ils ne dépassaient pas la trentaine. C’est un cimetière de jeunes. Un cimetière qui raconte la même histoire que les « narcocorridos » : une vie d’aventures et une mort précoce.
Source : France Culture