Les chiffres de saisies de drogue et d’interpellations relayés sur les réseaux sociaux fournissent l’axe de communication prioritaire du gouvernement, mais ne masquent pas les interrogations sur la réalité des suites judiciaires et l’impact sur le trafic.
Cent dix-neuf interpellations, 87 gardes à vue, la saisie de 22,5 kilos de cannabis, 938 grammes de cocaïne, 402 745 euros, 13 véhicules, 4 armes… Cette fois, le bilan n’a pas suffi à désamorcer les critiques après la spectaculaire opération « Place nette XXL » qui a mobilisé près de 1 000 policiers à Marseille lundi 18 et mardi 19 mars. Sur place, Emmanuel Macron, flanqué de ses ministres de l’intérieur et de la justice, s’est félicité du succès de l’opération. Mais si l’ensemble de la classe politique souligne la nécessité de lutter contre l’emprise du narcotrafic en France, la méthode ne semble pas faire davantage l’unanimité que la communication organisée autour de l’événement.
« En réalité c’est S, opération small », a ironisé sur France inter Marine Le Pen, patronne du groupe Rassemblement national à l’Assemblée nationale, mercredi 20 mars. Pour le député « insoumis » du Nord Ugo Bernalicis, « cette agitation n’est rien d’autre qu’un pied de nez assumé à l’autorité judiciaire, qui est chargée de la poursuite de l’action pénale, avec un aspect communicationnel lamentable ».
L’exécutif martèle depuis des mois un argumentaire vigoureux d’où sont souvent évacuées les conséquences sanitaires – la France est le deuxième consommateur européen de cannabis et compte 600 000 usagers de cocaïne – et les dimensions sociales du trafic. « C’est bien le problème, raille M. Bernalicis, c’est que les services publics ont fait place nette dans ces quartiers bien avant la police. »
Pessimisme lucide
A Marseille, la présence du ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, au côté de MM. Macron et Darmanin est surtout apparue comme un rappel à l’ordre des magistrats locaux, dont le pessimisme lucide avait éclaté à l’occasion d’une audition par la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic le 6 mars. « Je crains que nous ne soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants », avait estimé Isabelle Couderc, vice-présidente du pôle criminalité organisée de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. « Je ne saurais pour ma part céder à aucun discours de défaite », a recadré le président de la République depuis le quartier de la Castellane.
Selon le quotidien La Provence, Gérald Darmanin avait toutefois passé commande d’une opération d’envergure lors de son passage à Marseille au mois de janvier, avançant comme un objectif à atteindre le chiffre symbolique de cent interpellations. Message d’autant mieux reçu que le nouveau préfet de police des Bouches-du-Rhône n’est autre que Pierre-Edouard Colliex, en provenance directe du cabinet du ministre où il exerçait les fonctions de conseiller police jusqu’au mois de février. « La seule réponse [au trafic], c’est une réponse concrète, d’interpellations et de résultats », a estimé ce dernier sur BFM-TV au lendemain du « Place nette XXL » marseillais.
Mais cette pression exercée sur les préfectures comme sur les services de police peut montrer ses limites. Le 12 mars, les policiers vosgiens avaient légèrement toussé en lisant la presse locale, où un responsable policier annonçait l’imminence d’une opération. Ils s’étaient alors autant inquiétés de leur propre sécurité que des conséquences d’une diffusion de l’information sur les résultats escomptés. A Marseille, Emmanuel Macron n’a laissé à personne le soin de faire savoir, sans toutefois avancer les lieux retenus, qu’une dizaine de nouvelles opérations XXL seraient organisées « dans une dizaine de villes, métropoles ou villes intermédiaires ».
Depuis l’automne, ces déploiements de force, martialement dénommées opérations « Tempête » dans la gendarmerie, tiennent lieu de viatique, érigées en l’espace de quelques mois comme le plus sûr gage de l’efficacité de l’Etat dans la lutte contre le narcotrafic. Avec des résultats parfois décevants au regard d’importants moyens mis en œuvre. En novembre 2023, cinq jours d’opérations menées tous azimuts par quelque deux cents gendarmes dans plusieurs quartiers de « reconquête républicaine » du Bas-Rhin avaient abouti – outre la constatation de 184 « infractions » non précisées – à la saisie de 515,9 grammes de résine de cannabis et 3,9 grammes de cocaïne. D’autres opérations, comme celle menée par la police dans le quartier de Planoise, à Besançon, le 9 février, se sont révélées autrement fructueuses avec la découverte de 10 kilos d’héroïne, mais aussi d’un lance-roquettes, de deux fusils d’assaut et de munitions en nombre.
Les chiffres, relayés sur les réseaux sociaux, fournissent l’axe de communication prioritaire des forces de l’ordre. Le 3 mars, la police nationale faisait état de son dernier bilan consolidé après l’organisation de 120 opérations « Place nette » : la saisie de 875 kilos de cannabis, de 15 kilos de cocaïne, près de 17 kilos d’héroïne, d’une centaine d’armes et de 29 véhicules pour un total de 1,8 million d’euros d’avoirs criminels, sans compter 1 154 interpellations. Les services de l’Etat se montrent, en revanche, moins diserts quant à leurs suites judiciaires, d’où l’interrogation de policiers sur la réalité de la mise hors d’état de nuire de têtes de réseau capables de gérer le business derrière les barreaux ou depuis leur exil doré à Dubaï.
Fortunes diverses
Dès le lendemain de l’opération « Place nette XXL » menée à Marseille, les images diffusées sur les chaînes de télévision ou les témoignages de riverains illustraient le retour des guetteurs sur les points de deal. En quelques heures, quelques jours ou quelques semaines dans le meilleur des cas, le trafic reprend, à moins qu’il ne migre vers les plates-formes d’appels sur des réseaux sociaux comme Telegram ou Snapchat, ou se trouve déporté dans des zones voisines.
Ces critiques régulièrement adressées aux services de police et de gendarmerie ne désarment ni les uns ni les autres. Mardi, alors que l’opération « Place nette XXL » était encore en cours à Marseille, la communication officielle de la direction générale de la police nationale rappelait l’objectif affiché : « Démanteler [les réseaux] et empêcher les trafiquants de se réimplanter en portant un coup d’arrêt durable par une action durable. » En d’autres termes : « Frapper plus fort, plus intensément, plus longtemps. »
La stratégie du « pilonnage » décrétée voilà trois ans ambitionne effectivement de s’inscrire dans la durée grâce à des partenariats noués avec les bailleurs sociaux, les sociétés de transport en commun ou des organismes de recouvrement comme l’Urssaf. Mais elle a déjà été expérimentée par le passé, avec des fortunes diverses. En 1986, le ministère de l’intérieur mettait en scène de telles opérations, présentées comme une nouvelle stratégie de lutte contre la petite délinquance et les « dealeurs ».
Avant cela, au milieu des années 1970, à l’instigation du ministre de l’intérieur de l’époque, Michel Poniatowski, des opérations coup de poing prévoyaient le déploiement en force d’effectifs de police pour boucler des zones urbaines entières – il était alors question de lutter contre la délinquance, et non viser uniquement le trafic de stupéfiants. Déclinée pendant quelques mois dans plusieurs grandes agglomérations, cette stratégie avait fini par être abandonnée, faute de résultats au vu des moyens engagés.
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