Auditionné mercredi 10 avril par la commission d’enquête du Sénat sur les moyens de la lutte contre la drogue, le ministre de l’Intérieur a affirmé qu’il préférait la communication et les actions visibles dans la rue aux investigations complexes. A rebours de ce que prônent les services et magistrats spécialisés.
«La drogue est la plus grande menace sécuritaire de notre pays» a posé, dès ses premiers mots, Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur était auditionné, ce mercredi 10 avril, par la commission d’enquête du Sénat «sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier». Mais comment lutter face à cette «situation extrêmement préoccupante» ? Pour le ministre de l’Intérieur la solution n’est pas dans les enquêtes judiciaires complexes mais dans les opérations «Place nette XXL», menée par les policiers de voie publique comme les brigades anticriminalité (BAC) ou les compagnies d’intervention. Et Gérald Darmanin en a profité pour s’attaquer au travail des magistrats.
Au lendemain de l’audition de son homologue de la Justice, le ministre de l’Intérieur a d’abord dressé «l’état de la menace». L’exercice a consisté à comparer le trafic de stupéfiants et le terrorisme, estimant même que le premier fait courir plus de risques à la France que le second. «La drogue vient se substituer aux règles morales, familiales, de l’Etat», a affirmé Gérald Darmanin, selon qui «l’objectif du ministère de l’Intérieur ce n’est pas d’éradiquer 100% de la drogue [mais] d’empêcher la puissance des organisations criminelles de devenir trop importante». Il faudra une demi-heure au président socialiste de la commission, Jérôme Durain, pour couper le propos liminaire du ministre.
Coups de com
«Comment j’embête les organisations criminelles qui sont aussi des organisations économiques ?» s’est interrogé le ministre pour asseoir sa démonstration. Lui l’assure : les défilés policiers tous azimuts dans les quartiers où se trouvent des «points de deal» sont efficaces. Ces interventions permettraient de «couper les pattes de la pieuvre». Un point de vue de longue date contesté par les organisations syndicales de magistrats et plusieurs acteurs de premier plan, et encore récemment, par plusieurs personnes auditionnées par la même commission d’enquête sénatoriale.
Ces opérations «Place nette XXL», relancées il y a trois semaines, ont conduit à 7177 interpellations selon les chiffres donnés par Gérald Darmanin, et à 365 déferrements devant l’institution judiciaire, selon ceux livrés par le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. «Ça fait 5%», tacle le sénateur PS Jérôme Durain, avant d’interroger le ministre de l’Intérieur sur le risque, pour ces opérations coups de com, de «gêner les enquêtes au long cours».
En réponse, Gérald Darmanin a affirmé qu’attendre d’avoir des enquêtes judiciaires «parfaites», «avec tout le réseau» – c’est-à-dire celles menées par les juges d’instruction qui tentent de remonter les filières –, était la cause de «l’inefficacité publique, que le Français moyen voit dans la rue», notamment en ce que de telles investigations étaient «extrêmement longues». Et d’ajouter : «On peut attendre éternellement d’avoir absolument toutes les preuves, que quelqu’un ait tué plusieurs personnes pour qu’il y ait une très bonne condamnation, mais vous allez laisser tuer plusieurs personnes. Je ne suis pas dans ce raisonnement là.»
Ton du reproche
Après avoir reconnu qu’il manquait des enquêteurs dans la police nationale, le ministre a jeté une autre pierre dans le jardin de la justice, l’accusant de ne pas se pencher suffisamment sur les ramifications financières des réseaux : «Ce sont les magistrats qui ouvrent des enquêtes. Si les magistrats ouvraient systématiquement des enquêtes pour blanchiment quand il y avait une affaire de stups, peut-être que ce serait intéressant, a esquissé, sur le ton du reproche, le ministre de l’Intérieur.
C’est rare que le magistrat ouvre à la fois, quand on a un trafic de stups, parallèlement une enquête sur le blanchiment.» Gérald Darmanin semble faire fi d’une réalité, déplorée par les magistrats comme les enquêteurs. Celle d’une justice financière démunie, récemment dénoncée dans une tribune parue dans le journal le Monde : «La lutte contre la délinquance financière reste l’un des parents pauvres de la chaîne pénale.»
Selon le sinistre de l’intérieur, les discours sur la légalisation sont donc irresponsables…voilà qui va faire plaisir à Justin Trudeau :
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