Le terme « narcotrafic », autrefois réservé aux récits des cartels colombiens ou mexicains, s’est imposé dans le discours politique français. En l’espace de quelques mois, il a remplacé l’expression « trafic de stupéfiants », amenant avec lui une rhétorique guerrière qui alimente les discours sécuritaires. Alors que des figures politiques comme Bruno Retailleau, Gérald Darmanin ou François Bayrou adoptent ce langage musclé, une question s’impose : cette montée en puissance sémantique présage-t-elle un nouvel élan répressif, au détriment des droits fondamentaux ?
Une guerre des mots
La commission d’enquête sénatoriale du printemps 2024 a amorcé la médiatisation de la lutte contre le narcotrafic, mais c’est à l’automne que le thème a vraiment explosé. Depuis, les dirigeants politiques n’hésitent plus à utiliser le vocabulaire de la « guerre », dressant un parallèle implicite avec les situations extrêmes de pays gangrenés par les cartels. Bruno Retailleau a même évoqué une « mexicanisation » de la France, alors que la réalité nationale diffère largement de celle des cartels latino-américains. Ce glissement sémantique, entre outrance et démagogie, sert à créer une acceptation sociétale d’un arsenal législatif de plus en plus restrictif.
Vers un durcissement législatif
La proposition de loi sénatoriale prévue pour janvier 2025 reflète cette volonté de durcissement. Parmi les mesures envisagées :
- Extension des pouvoirs des agents infiltrés, y compris la provocation à la commission d’infractions ;
- Réduction des droits de la défense, avec l’utilisation de dossiers confidentiels échappant à leur consultation ;
- Allongement des délais de détention provisoire et gel extrajudiciaire des avoirs « criminels » supposés.
Ces dispositifs, à la limite du droit commun, dépassent même les régimes d’exception utilisés dans la lutte antiterroriste. Cette dérive inquiète les défenseurs des libertés publiques, qui redoutent une érosion progressive des garanties juridiques fondamentales.
Une logique éprouvée : de l’exception au droit commun
L’expérience des lois antiterroristes montre que les mesures d’exception, présentées comme temporaires, tendent à devenir la norme. Les outils créés pour combattre une menace ciblée finissent par s’étendre à des infractions ordinaires, mettant tous les citoyens en danger face à un appareil judiciaire hypertrophié. Le discours actuel sur le narcotrafic semble suivre cette même trajectoire, en justifiant des atteintes croissantes aux droits fondamentaux sous prétexte d’efficacité.
Un bilan répressif mitigé
Malgré les efforts colossaux consacrés à la lutte contre les stupéfiants, les résultats restent limités. Le ministère de l’Intérieur annonce régulièrement des saisies records et des arrestations en cascade, mais ces chiffres ne réduisent ni la consommation, ni les violences associées. En revanche, les victimes collatérales de cette guerre, notamment dans les quartiers populaires, se multiplient. Le caractère criminogène de la prohibition demeure une réalité.
Changer de paradigme : une réponse pragmatique
Face à ces échecs, il est urgent de dépasser l’illusion d’une victoire par la répression. Les pistes alternatives sont nombreuses et méritent d’être explorées :
- Légalisation et régulation du cannabis, permettant de tarir une partie des revenus du trafic ;
- Prévention renforcée, notamment auprès des mineurs, et réduction des risques ;
- Augmentation des moyens pour la justice et la police, avec un focus sur les trafics majeurs plutôt que les infractions mineures ;
- Renforcement de la coopération internationale pour s’attaquer aux réseaux transnationaux.
Conclusion
La rhétorique guerrière entourant le narcotrafic semble plus destinée à conforter une image de fermeté politique qu’à apporter des solutions réalistes et efficaces. Dans cette surenchère, les droits fondamentaux risquent d’être les premiers sacrifiés. Le CIRC n’a pas la prétention d’affirmer que la légalisation tarirait complètement les revenus des réseaux criminels, mais elle contribuerait à les affaiblir significativement. Ses propositions, notamment l’autoproduction, les Cannabis Social Clubs (CSC) et les cannabistrots, sont des alternatives concrètes et pragmatiques pour contrer le narcotrafic. Ce sont les armes du CIRC dans cette guerre, visant à offrir des solutions réalistes et à affaiblir les réseaux criminels. Plutôt que de s’enfermer dans les mirages de la guerre contre les « narcos », il est temps d’adopter des mesures audacieuses et réfléchies, pour construire une société plus juste et sécurisée.
Pour aller plus loin : La tribune récemment publiée dans Libération (réservé aux abonnés) explore ces enjeux en profondeur. Nous vous invitons à consulter librement l’intégralité de cet article en PDF pour approfondir la réflexion.
Lire aussi :
Un nouveau gouvernement à couper le souffle : Darmanin à la Justice, Retailleau à l’Intérieur
Retailleau et Darmanin : les deux faces d’une même politique d’échec