Dans l’État de New York, la loi sur le cannabis met des habitants en pétard
La priorité accordée par les autorités aux entrepreneurs issus des minorités dans l’accès à ce nouveau et juteux business de la marijuana légale ne fait pas que des heureux.
Les snacks sont sortis, les joints aussi. Il est 18 heures et la fête ne fait que commencer au douzième étage de cet immeuble de Manhattan. Ce vendredi 20 janvier, des dizaines de professionnels du cannabis se retrouvent à Work’n’Roll, un espace de coworking et incubateur réservé aux créatrices d’entreprises du secteur, pour fêter le Nouvel An chinois et réseauter.
L’événement est organisé par l’Asian Cannabis Roundtable (ACR), une association qui regroupe les professionnels asiatiques du cannabis. « Il y a plein d’événements de ce type. Pour les Noirs, les Hispaniques, les Asiatiques… », énumère une participante dans l’ascenseur, d’où se dégage un fumet de marie-jeanne.
Ces derniers sont bien décidés à se faire une place sur ce marché qui pourrait peser plus de 7 milliards de dollars en 2025 dans l’État de New York, où l’usage récréatif de la substance a été légalisé pour les adultes en mars 2021. D’autant que les autorités veulent les y aider. Par rapport aux autres États américains qui ont autorisé la vente et la consommation de « weed », la loi new-yorkaise prévoit explicitement de favoriser les entrepreneurs issus de groupes raciaux ciblés par la « War on Drugs » (« Guerre contre les drogues »).
Cette politique, lancée par le gouvernement du républicain Richard Nixon dans les années 1970, voulait mettre fin aux trafics. Ses détracteurs estiment qu’elle a visé de manière disproportionnée les individus non blancs, détenteurs de cannabis notamment, entraînant des ravages sociaux et économiques de long terme – incarcérations, difficultés de réinsertion, pertes de revenus… – au sein des minorités raciales.
Depuis 2021, l’État de New York a donc accordé les premières licences de dispensaire à des personnes condamnées dans le cadre de cette lutte antidrogue, ainsi qu’à des associations travaillant avec des populations défavorisées. Un fonds pour financer des services divers – nutrition, santé mentale, emploi, éducation… – dans les quartiers les plus touchés par cette « Guerre contre les drogues » a aussi été créé.
«Une vraie opportunité pour des jeunes défavorisés »
« Un ancien conseiller de Nixon a reconnu que cette politique avait été conçue pour déstabiliser la communauté afro-américaine et le mouvement contre la guerre au Vietnam. Des millions de personnes, essentiellement des jeunes hommes noirs, ont été incarcérées. En l’absence des pères, les mères ont dû assumer seules la charge des enfants », rappelle Michael Zaytsev.
Entrepreneur, auteur, créateur d’événements, il a été recruté l’an dernier pour s’occuper d’un tout nouveau programme consacré aux métiers du cannabis au sein de LIM College, une université de Manhattan. Objectif : former les futurs acteurs du secteur. Pas moins de 100 000 emplois dans des domaines aussi variés que le marketing, le droit, le packaging et le tourisme pourraient découler de la légalisation.
Parmi les inscrits à cette formation unique en son genre outre-Atlantique, on trouve Gustavo McClain, un habitant du sud du Bronx, quartier essentiellement noir et hispanique qui figure parmi les plus pauvres des États-Unis. Tout en reconnaissant les dangers d’une consommation prolongée de cannabis pour les plus jeunes, il dénonce la stigmatisation qui persiste près de deux ans après la légalisation.
« Ma mère, qui m’a élevé seule, fumait pour gérer son anxiété et une maladie douloureuse car, là où nous vivions, nous n’avions pas accès aux services de soins traditionnels. En même temps, elle se levait très tôt, s’occupait de moi, mes deux sœurs, ma grand-mère, faisait des ménages… D’un côté, j’entendais dire beaucoup de choses négatives sur le cannabis, mais, de l’autre, la seule personne que je voyais en consommer était la plus dynamique que je connaissais. »
Fondateur de SoBro (South Bronx Overall Economic Development Corporation), une association de développement économique du sud du Bronx qui vient en aide aux jeunes du coin, il a récemment établi un partenariat avec le LIM College pour permettre à ces derniers de rejoindre la formation à moindre coût. « Tous les secteurs traditionnels – sécurité, tourisme, hôtellerie, alimentaire – seront concernés d’une manière ou d’une autre par le cannabis. Il offre une vraie opportunité pour des jeunes défavorisés de créer de la richesse et de la transmettre à leurs descendants », estime-t-il.
Odeur de « weed » dans les rues
Bien que l’odeur d’herbe soit omniprésente dans les rues de New York ces jours-ci, et que les points de vente illégaux pullulent, le marché a encore du chemin à faire. La priorité accordée aux entrepreneurs issus des minorités a valu à l’État d’être attaqué en justice pour discrimination à la fin de l’année dernière. Par ailleurs, des projets de dispensaire ont subi l’opposition de riverains et de propriétaires immobiliers. Seuls deux sont ouverts à New York pour le moment. Le dernier, qui a vu le jour mardi, a été lancé par Roland Conner, un homme de 50 ans qui a été mis sous écrou dans les années 1990 pour possession de marijuana.
« On a l’impression que les opposants en parlent comme si c’était toujours une activité illégale », observe Karen Brown, maire de Tarrytown, une charmante commune de 11 000 âmes au nord de la Grosse Pomme, où la légalisation a provoqué des débats. Après avoir donné son feu vert pour l’ouverture de points de vente, son conseil municipal a adopté, en janvier, une disposition pour encadrer ceux qui voudraient s’installer dans son centre-ville cossu, élu le plus beau du comté avec ses petits commerces et sa salle de spectacle historique.
« Ils devront passer devant une commission pour montrer comment ils projettent de contrôler l’odeur et d’autres paramètres. Nous voulons être responsables et soumettre ce nouveau business à un niveau supplémentaire de vérification », souligne la démocrate.
Même si le cannabis pourrait rapporter 350 millions de dollars en recettes fiscales supplémentaires par an à l’État de New York, elle n’est pas convaincue que sa commune en profitera. « Les municipalités les plus petites ne pourront pas accueillir de grands dispensaires. Certains généreront beaucoup d’argent, d’autres non », poursuit la maire.
« Au fur et à mesure que la concurrence se développera, les prix des produits baisseront, ce qui affectera les revenus de ces commerces. D’autant que ça restera toujours moins cher de se procurer du cannabis clandestinement », prédit Robert Silverman, professeur à l’université de Buffalo, spécialisé dans les inégalités urbaines.
Malgré l’incertitude, Gustavo McClain, lui, a déjà des projets plein la tête. Avec son diplôme de LIM, il envisage d’ouvrir une agence de travail temporaire spécialisée dans le monde du cannabis : « Plus j’en apprends sur le secteur, plus j’ai d’idées ! »
En France, le Cese préconise une légalisation encadrée du cannabis récréatif
En s’inspirant de la légalisation du cannabis récréatif au Canada, à Malte ou encore, d’ici à 2024, en Allemagne, et face à « l’échec cuisant de la politique suivie depuis cinquante ans » en France, le Conseil économique social et environnemental suggère l’autorisation encadrée de la production, de la distribution et de la consommation de cette drogue douce. Le Cese préconise une distribution dans des points de vente légaux soumis à licence, interdits aux mineurs et où un fort message de prévention serait diffusé.
Aujourd’hui en France, « 90 % du cannabis est fumé, c’est le plus mauvais des usages », explique Florent Compain, un des rapporteurs. L’idée est de créer une filière de production et de distribution française où « la logique de santé publique prime sur les profits avec un encadrement des volumes de production ».
Outre la création d’une taxe spécifique affectée aux politiques de prévention, le Cese recommande de ne plus sanctionner pénalement l’usage et la culture personnels de cannabis et de permettre la culture en « collectifs » en prenant exemple sur les cannabis social clubs.
Le cannabis reste la drogue illicite la plus diffusée dans la population française, selon une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Menée auprès de 23 661 adultes âgés de 18 à 64 ans, cette étude sur la consommation de cannabis en 2021 rapporte que 10,6 % de la population en a fumé dans l’année.