«L’important en politique, c’est la continuité de l’action républicaine.»
Nicole Maestracci était une femme intègre, généreuse, charismatique, ouverte sur son temps. Militante dès sa jeunesse dans des mouvements d’extrême gauche, elle restera une femme de gauche. Présidente de la MILDT de 1998 à 2002, elle martèle deux idées fortes devenues des slogans: «il n’y a pas de société sans drogue» et «la politique doit s’inspirer de la science», qui trouveront leur prolongement dans le petit ouvrage « Savoir plus, risquer moins » lancé à grand renfort de communication et vendu dans les kiosques. Le tabac et l’alcool entrant désormais dans le champ de la MILDT, elle s’inspirera du rapport du Pr Roques missionné par Bernard Kouchner pour comparer la dangerosité des drogues, dont le palmarès place les deux produits «licites» en tête de gondole. Choc frontal avec les représentations des citoyens et des élus.
L’aura de Nicole réussira à entrainer une majorité de professionnels de la toxicomanie pour lesquels elle devient une icône. Elle prône le développement de l’addictologie, sans que cela puisse encore se traduire par une réorganisation du système de soin. Elle défend ardemment la politique de réduction des risques, sans toutefois réussir à ouvrir des salles de consommation à moindre risque, ni les programmes d’héroïne, devant l’opposition des élus de droite et la frilosité de ceux de gauche. Elle soutient plusieurs publications pour la réduction des risques dont le Journal d’Asud, Swaps ou Techno+, soutiens qui disparaitront à l’arrivée d’Étienne Apaire en 2007.
Quand la droite revient en 2002, la cohabitation se passe mal et Nicole est remerciée. Les deux candidats favoris pour la remplacer, William Lowenstein soutenu par Chirac et le magistrat Bernard Leroy, candidat de Nicolas Sarkozy, explosent en vol sous les tirs croisés de leur mentor, et on recherche un troisième homme qui devra être médecin, condition imposée par l’Élysée. Je ne suis donc pas surpris d’être à nouveau sollicité pour être candidat (j’avais refusé une première fois) et j’accepte de relever le défi. La première personne que j’appelle pour lui demander conseil, c’est précisément Nicole. Dans un premier temps, elle me dit au téléphone: «tu ne vas quand même pas travailler avec la droite de la droite!» puis nous passons la soirée chez elle et pendant trois heures, nous pesons le pour et le contre. Elle finit par conclure: «eh bien oui, finalement tu as raison, vas-y mais sois prudent!». Je me sens soulagé, car Nicole est une personne très importante pour moi. C’est d’abord la sœur de mon ami cher Hervé, avec qui j’ai fait mes études de médecine et c’est à Necker dans les années 1970 que je l’ai vue la première fois quand elle venait déjeuner au restau U! Puis mon épouse a travaillé étroitement avec elle quand elle était juge à Melun. Mais c’est à la MILDT que nos relations professionnelles se sont intensifiées, où elle m’a demandé d’intégrer la commission d’évaluation des outils et m’a confié plusieurs missions.
Quand ma candidature a été finalement retenue, Nicole m’a demandé de présider son pot de départ à la Mutualité française, moment très émouvant, au-delà de la simple passation républicaine. Lors de ma première intervention publique, au Sénat, j’ai défendu son bilan et récusé les accusations des sénateurs qui voulaient faire son procès. Régulièrement, nous déjeunions ensemble dans les jardins du conseil d’État, où elle me faisait part de ses observations et éventuellement de ses critiques. Mais elle savait que je m’étais battu pour prolonger les jalons qu’elle avait posés, et les traduire en actes, notamment en créant les Csapa et les Caarud avec le soutien de Jean-François Mattei, d’abord perplexe sur le sujet, puis convaincu, et de son directeur général de la santé, William Dab, soutien indéfectible. Puis, pour avoir fait inscrire dans la loi de 2004, la réduction des risques, première reconnaissance institutionnelle, avec son référentiel qui cadre l’action des préfets. Nicole m’a souvent répété que l’important en politique, c’est la continuité de l’action républicaine. C’est une conviction que je partage intimement, et je ne pense pas l’avoir déçue. Toutes mes pensées vont aujourd’hui à ses enfants et à sa famille et à Hervé en particulier.
Par Didier Jayle, vih.org