Créé en 2018, le collectif composé d’anciens et d’actuels agents des forces de l’ordre milite pour une nouvelle politique des drogues.
« Vous voulez vraiment savoir comment on est perçus ? sourit Bénédicte Desforges. Gauchos, collabos, toxicos. Il ne vous aura pas échappé que mes confrères mâchent rarement leurs mots. » L’ex-lieutenant de police est volontiers un peu provocatrice, mais jamais méchante. L’habitude, peut-être, de manier un discours à contre-courant.
En 2018, elle a fondé avec un capitaine de police à la retraite, Thierry Tintoni, le collectif Police contre la Prohibition (PCP). « Moi et mon collègue, nous pouvons donner nos noms car nous ne faisons plus partie de la police. Nos collègues en activité restent discrets, vous ne pourrez pas les identifier en tant que tels. Notre position est assez marginale, mais on n’est pas tout seul. En général, on ne devient pas flic en rêvant de courir après les fumeurs de cannabis… » ironise-t-elle.
« A la fois malade et délinquant » : en France, la vieille école
En France, le texte qui encadre l’usage de drogues est la « loi du du 31 décembre 1970 ». Elle « considère l’usager de drogues comme un individu à la fois malade et délinquant. Délinquant puisqu’elle incrimine spécifiquement l’usage solitaire et prévoit une peine d’emprisonnement ferme. Malade puisqu’elle prévoit une exemption de poursuites pénales pour les toxicomanes usagers » simples » qui acceptent de se soumettre à une cure de désintoxication » décrit sur son site internet la Mission interministérielle de lutte contre les drogues (Mildeca).
Pour le PCP, la formule est à la fois liberticide, et inutile. Inutile, d’abord, parce qu’elle n’a jamais fait baisser ni le trafic, ni la consommation de drogues. En Europe, la France est l’un des pays qui mène l‘une des politiques les plus répressives sur l’usage des drogues. C’est aussi le pays où les jeunes de 15 à 34 ans consomment le plus de cannabis, et le troisième pays où ils consomment le plus de cocaïne.
Drogues légales, le vrai fléau
Pour le PCP, la diabolisation des usagers de drogues ne fait pas sens non plus sur un plan philosophique. « On les considère comme des gens qui font valoir une liberté, assume Bénédicte Desforges. L’immense majorité des usagers de drogues n’ont aucun problème avec leur consommation. Comme certaines personnes sont alcooliques et d’autres boivent un verre de Saint Emilion le weekend entre amis. On est attachés à la liberté parce qu’on sait ce que c’est que d’en priver les gens. »
Même si l’immense majorité du trafic français concerne le cannabis, le PCP ne veut pas limiter son combat à la légalisation de cette substance. « On veut se garder d’être des « cannactivistes » : pour nous, ce serait un mauvais calcul de faire une partition entre le cannabis, qui serait une drogue vertueuse, et le reste. Cette opposition drogue dure / drogue douce ne fonctionne pas. Il y a des usages durs et des usages doux. Il y a des drogués heureux, qui à côté de ça sont des citoyens comme les autres, avec un travail, et qui passent inaperçus. Ils ne sont pas plus délinquants que les gens qui prennent de l’alcool ou du tabac. »
Car ce sont bien les drogues légales qui font le plus de dégâts en France. La consommation d’alcool est tenue responsable de plus de 40 000 morts par an, le tabac 75 000. Bien loin des 44 morts imputés à l’usage de cocaïne en 2015. Concernant le cannabis, les données sont peu nombreuses, et anciennes. Sur France Culture, la chercheuse Marie Jauffret-Roustide déclarait en 2019 : « Il y a une étude anglaise qui a montré que la mortalité liée au cannabis était 200 fois moins importante que la mortalité liée au tabac ou à l’alcool. »
Pendant ce temps, selon la députée Caroline Janvier, « la dépense publique française destinée à lutter contre le cannabis est évaluée à 568 millions d’euros, dont 90 % sont liés aux actions policières et judiciaires ».
La répression des stup, bras armé de la politique du chiffre
Pour le PCP, la politique française en matière de drogues est hypocrite, et en fait tourner une autre : la politique du chiffre. L’obsession du résultat et de la bonne statistique est dénoncée par plusieurs syndicats de police depuis sa mise en place, dans les années Sarkozy.
Officiellement enterrée, elle semble pourtant couler de beaux jours à l’ombre. Car les commissaires peuvent encore toucher ce qu’on appelle une « indemnité de responsabilité et de performance ». La partie responsabilité, elle, va de soi. En revanche, la prime de performance n’est attribuée qu’à un tiers des commissaires. Pour la fonction la plus récompensée, commissaire général de police occupant un poste « très difficile », cette prime peut atteindre plus de 1100 euros. « Résultat, tous les coups sont permis » soupire Bénédicte Desforges.
Et pour faire du chiffre, la répression des drogues, c’est la baguette magique. « C’est est un délit qui est résolu dès qu’il est constaté, c’est du 100% de taux d’élucidation, et ça c’est très précieux pour les chiffres de la délinquance. 56% de l’activité d’initiative des flics, c’est la répression de l’usage de drogues, faire vider les poches et mettre en garde-à-vue pour le quart de gramme de shit qu’on a au fond de la poche. » Le circuit se vide peut-être de quelques consommateurs, mais bien moins des gros trafiquants.
« On ne va pas faire ces contrôles à la sortie du lycée Henri IV »
Récemment, le PCP a pris la parole sur un sujet où on l’attendait moins : le racisme dans la police. Le ton tranche avec celui des syndicats de la profession.
« Tous mes collègues qui ont une audience hautement supérieure à la nôtre et qui parlent d’une petite minorité… Dans ce cas, comment peuvent-elles être là depuis si longtemps ? Si les autres brebis ne disent rien, est-ce qu’elles ne sont pas galeuses, elles aussi ? Je ne voulais pas parler de tout ça, mais on ne pouvait plus faire autrement, on ne supporte pas ce qu’on voit. »
Pour le collectif, le lien entre répression des stup’ et violences racistes est plus qu’existant : il est intime. « Le prétexte des contrôles d’identité, souvent, c’est la répression de l’usage de drogue. Et on ne va pas faire ces contrôles à la sortie du lycée Henri IV, on le sait ! On va au pied des tours, et au bout d’un moment, il y aura un loulou qui aura un pétard dans la poche, ça commence toujours comme ça », regrette la représentante du collectif.
Pour elle, qui connaît bien son Histoire, le procédé a même un goût de déjà-vu. « La répression des drogues est un vrai vecteur de discrimination. Ça l’a été aux Etats Unis quand ils ont commencé à employer le mot marijuana, dans le but de faire directement référence aux mexicains. Le combat contre le LSD ciblait les anti-guerre du Vietnâm. Nous n’échappons pas à la règle. »
Dépénalisation, légalisation : ce qui marche à l’étranger
En Europe, les anti-prohibition se tournent comme un seul homme vers le Portugal. En 2000, le pays a décidé de dépénaliser l’usage de toutes les drogues, pour des résultats spectaculaires. « Il semblerait que quand on supprime l’interdit, la chose devienne tout de suite moins séduisante, notamment pour les jeunes » analyse Bénédicte Desforges. Pragmatique, le PCP milite « dans un premier temps » pour la dépénalisation, plus audible auprès du grand public et du politique, et pour la légalisation du cannabis en tant que processus déjà enclenché.
Va-t-elle entraîner une disparition du marché noir ? Bénédicte Desforges n’y croit pas. « Le marché noir ne disparaîtra jamais complètement, parce que les mineurs ne pourront pas s’approvisionner en cannabis légal, et certains voudront rester sous le radar, estime-t-elle. Le grand discours des idéologues, c’est de « recycler les acteurs du marché ». Si vous me trouvez un seul dealer qui a envie de bosser à des horaires fixes et de payer l’URSSAF et des impôts, vous me le présentez ! »
Peut-être la bonne idée est-elle Outre-Atlantique : en légalisant, le Canada et certains états américains ont entrepris d’effacer les casiers judiciaires pour possession de cannabis. Un marché qui pourrait intéresser les actuels commerçants. « L’usage de stupéfiants, c’est 68 000 inscriptions au casier judiciaire par an. Il suffit que vous soyez un peu jeune, un peu pas blanc, c’est pas terrible pour trouver un premier boulot avec ce casier. Est-ce que ça va marcher sur le long terme ? Je n’en sais rien. »
Le collectif Police contre la Prohibition n’est de toute façon pas là pour pondre des solutions miracle. « On a souvent le sentiment de faire du Don Quichotisme, mais on ne peut pas taire la voix du flic dans ce débat. Elle est très importante. Qui mieux que nous peut en parler ? »