TRIBUNE
Bernard Basset – Médecin spécialiste en santé publique, président d’Addictions France, ancien haut fonctionnaire au ministère de la santé
Amine Benyamina – Psychiatre, addictologue, chef de service à l’hôpital Paul-Brousse, président de la Fédération française d’addictologie
Par ses déclarations, le président de la République a court-circuité une mission parlementaire qui s’apprêtait à conclure à l’échec de la prohibition du cannabis. La politique de l’opinion prévaut sur l’analyse des faits, déplorent les médecins Bernard Basset et Amine Benyamina.
Publié le 26 avril 2021
Tribune. Dans une longue interview publiée par Le Figaro dans son édition du 19 avril, le président de la République précisait sa conception de la sécurité publique et la politique qu’il entend mener en matière de drogues : éradiquer les trafics par tous les moyens et lutter contre la consommation de cannabis, dont les « effets désastreux » seraient à l’origine de décrochages scolaires.
Ces propos sont évidemment orientés par la campagne électorale qui commence, et ils affirment autant une façon de gouverner que des slogans pour la compétition qui se dessine. C’est à cette aune qu’il convient d’analyser ces déclarations. Celles-ci ne sont pas une surprise pour tous ceux qui, comme nous, ont pu constater récemment l’émergence d’une vision catastrophiste de la consommation de cannabis.
Aucune place aux échanges
Le maintien depuis des années d’un haut niveau de consommation de cannabis (1,4 million de consommateurs réguliers en France) aurait pu inciter le président de la République à explorer des pistes différentes. Ce ne sera pas le cas.
Alors que l’ensemble des acteurs de l’addictologie française réclame depuis longtemps un débat public sur la politique en matière de drogues, Emmanuel Macron affirme à la fois que ce « grand débat » aura lieu, mais il en annonce déjà les conclusions. Qu’est-ce qu’un débat démocratique si l’objectif est simplement d’entériner la volonté présidentielle ?
Le président ne laisse aucune place aux échanges d’arguments et, sur la base de sa seule volonté politique, affirme avant tout et uniquement un renforcement de la répression. Ces annonces sont d’autant plus surprenantes que la représentation nationale, à travers une mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis, créée en janvier 2020, s’était saisie du sujet du cadre juridique du cannabis.
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Cette mission, présidée par le député (LR) Robin Reda et dont les rapporteurs sont la députée (LRM) Caroline Janvier et le député (LREM) Ludovic Mendes, avait auditionné largement, sereinement et de manière transparente, et s’apprêtait à remettre ses conclusions. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’Emmanuel Macron a voulu intervenir, pour tuer dans l’œuf des propositions qui ne lui convenaient pas.
L’alcool, le débat impossible
Parce qu’elle a abordé le sujet de manière non idéologique, cette mission parlementaire est parvenue à la même conclusion que l’ensemble des addictologues : en matière de cannabis, la prohibition est un échec patent et a pour effet essentiel d’alimenter l’économie souterraine et les réseaux mafieux.
Ces constats, partagés internationalement, ont conduit de nombreux pays et de nombreux Etats des Etats-Unis à abandonner l’inefficace « guerre à la drogue ». Cette évolution politique, qui prend acte de la comparaison des risques et des conséquences des différentes substances psychoactives, place le cannabis très loin du podium occupé en premier lieu par le tabac et l’alcool. Dans notre pays cependant, débattre sereinement de cette substance, l’alcool, est tout bonnement impossible.
Le président pose une question intéressante – « Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? » – sans pour autant y apporter une réponse. Il joue là sur la suggestion et la peur, et non sur la connaissance des faits. Il ferme le « grand débat » avant même de l’avoir lancé. Celui-ci ne portera ainsi que sur les « effets délétères » de la consommation de drogues (uniquement les drogues illicites, doit-on comprendre), et non sur les véritables moyens d’endiguer les trafics.
On ne peut que regretter que la politique de l’opinion prévale ainsi sur l’analyse des faits et des données scientifiques. L’instrumentalisation d’un crime affreux ne fait que renforcer cette dérive. Oui, le meurtrier de Sarah Halimi [sexagénaire juive battue et défenestrée dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 à Paris] avait fumé du cannabis. Cependant, toutes les expertises ont conclu à une maladie mentale, ce qui vient d’être entériné par la plus haute juridiction, la Cour de cassation.
Course à la répression
Comme c’est souvent le cas, le cannabis était aussi, pour l’auteur du crime, un moyen, certes inadapté, de calmer ses angoisses délirantes. Le respect que nous devons à la mémoire de Sarah Halimi mérite mieux que cette instrumentalisation. En faire la motivation d’un changement de la loi nous ramène à une époque où chaque fait divers était suivi de déclarations enflammées et de l’annonce d’une loi.
A rebours de l’évolution internationale, le président de la République se lance dans une course à la répression, dont l’expérience de ces cinquante dernières années nous démontre qu’elle ne sert ni la santé publique ni la sécurité publique.
Indépendamment de toute considération scientifique ou morale, on aurait aussi pu penser qu’un président soucieux de l’économie française ne manquerait pas l’occasion de développer la filière économique du chanvre, que de nombreux pays, bien plus réactifs et pragmatiques, ont déjà saisie.
Des territoires en difficulté y voyaient à juste titre un moyen de sortir du marasme et de la désertification qui ne cesse de les étouffer.
Le président de la République a choisi le pire moment pour parler des drogues, celui d’une campagne électorale propice à tous les propos démagogiques. Mais, plus grave encore, il a choisi d’en parler de la pire manière qui soit, en se posant comme seul détenteur de la vérité scientifique, et en creusant le sillon d’une politique déjà en échec.. A rebours du monde entier, un président, élu sur une image de modernisme, réhabilite l’archaïsme en matière de politique des drogues.
Bernard Basset (Médecin spécialiste en santé publique, président d’Addictions France, ancien haut fonctionnaire au ministère de la santé) et Amine Benyamina (Psychiatre, addictologue, chef de service à l’hôpital Paul-Brousse, président de la Fédération française d’addictologie)
Source : Lemonde.fr