Spécialiste de l’évolution des tendances en matière de drogues, Michel Gandilhon analyse les raisons du développement de l’autoproduction de cannabis.
Chargé d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Michel Gandilhon décrypte le mouvement vers l’autoculture.
Quel est le profil de l’autoproducteur ?
Il s’agit de consommateurs qui passent à l’autoculture pour satisfaire des besoins personnels, ou pour se constituer des revenus complémentaires. Il y a aussi l’aspiration à assurer sa propre sécurité, sans se déplacer sur les lieux de deal, et pour ne pas alimenter les marchés criminels. Les enquêtes menées dans l’ensemble de la population estiment entre 150 000 et 200 000 le nombre de personnes ayant recours à l’autoculture. Parmi elles, un certain nombre continue de s’alimenter sur le marché noir pour compléter une production trop faible et satisfaire leur consommation. Environ 65 000 cultivateurs seraient en mesure de subvenir à leurs propres besoins uniquement via leur production.
Quels facteurs favorisent le développement de cette technique ?
Un élément marquant est la croissance du nombre de «growshops», ces boutiques légales qui vendent du matériel susceptible d’être utilisé pour la culture en intérieur. Un rapport de la Mission de lutte anti-drogue (Milad) publié en 2016 montrait qu’en 2005, la France comptait une soixantaine de ces boutiques ; il y en avait 300 dix ans plus tard. Une de nos enquêtes menées dans le cadre du dispositif Trend [Tendances récentes et nouvelles drogues, ndlr] établit que près de 36 % des cultivateurs s’approvisionnent sur Internet, essentiellement avec des graines provenant des Pays-Bas, qui sont devenus de grands spécialistes de la production de variétés de cannabis hybrides. Dans ce pays, c’est une véritable industrie qui s’est développée autour de ce commerce. En France, on a vu augmenter, notamment dans le Sud-Ouest, le nombre de petits producteurs qui mutualisent leur production avec une personne chargée de la revente. Théoriquement, à partir de cinq pieds de cannabis, on tire 600 grammes d’herbe, ce qui représente environ 5 000 euros au prix du marché. Lorsqu’on décide de commercialiser la récolte d’une dizaine de plants, les revenus d’appoint apportés sont non négligeables.
Comment expliquer l’attrait grandissant pour l’herbe ?
Depuis dix ans, le dispositif Trend montre une montée en puissance de cette substance. Contrairement à la résine, l’herbe est perçue comme naturelle, non coupée, pouvant être récoltée localement, ce qui séduit une partie de la jeunesse, soucieuse de se tourner vers les circuits courts. L’enquête Escapad, sur la consommation des jeunes de 17 ans, en témoigne : la dernière forme de cannabis consommée est très souvent l’herbe.
Certains consommateurs pensent-ils que le risque pénal est moindre avec l’autoculture ?
Le statut légal du cannabis peut en effet paraître assez flou. Cela s’explique par le processus de légalisation dans différents Etats américains et la légalisation du cannabis médical dans d’autres pays, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Portugal. Pourtant, théoriquement, la production ou la fabrication de «stupéfiants» est toujours passible de vingt ans de réclusion criminelle en France.
Source : Libération.fr