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Alors que certains fervents défenseurs de la légalisation du cannabis n’hésitent pas à mettre en avant l’argument « des vertus thérapeutiques » de cette drogue, Jean-Pierre Pujol, professeur émérite de biochimie à l’université de Caen, explique pourquoi il est impossible, aujourd’hui, de qualifier le cannabis de médicament.
Dans le débat médiatique qui agite les tenants et les opposants à la légalisation du cannabis, certains n’hésitent pas à attribuer des vertus thérapeutiques à cette drogue et parlent de « médicament ». Cet argument a souvent été utilisé jusqu’ici par des lobbys peu scrupuleux, plus intéressés par le marché potentiel que représente sa commercialisation que par la santé de la population.
À ce stade, il est bon de rappeler à nos concitoyens non spécialistes ce qu’est un médicament et les étapes successives qu’il doit traverser avant d’être mis sur le marché. D’après le Code de la santé publique, il s’agit d’une molécule pure possédant des propriétés préventives ou curatives à l’égard des maladies humaines et animales, susceptible de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques. De la découverte de la molécule à l’Autorisation de mise sur le marché (AMM), un médicament doit franchir avec succès différentes phases et s’étalant sur environ dix ans : phase de recherche et développement, étude de toxicologie, recherche clinique, cette dernière comprenant elle-même une phase 1 (étude de la tolérance), une phase 2 (étude de l’efficacité), une phase 3 (essai comparatif), et une phase 4 (administrative). La mise au point d’une nouvelle spécialité coûte environ 800 millions d’euros. Enfin, pour que le médicament obtienne l’AMM, il doit présenter un bon rapport bénéfices/risques.
Qu’en est-il du cannabis ?
Environ soixante-quinze types de cannabinoïdes ont été identifiés dans la plante, parmi lesquels le THC (tétrahydrocanabinol) et le CBD (cannabidiol) sont les plus documentés. À ce jour, aucun de ces composés d’origine végétale n’a fait l’objet d’un protocole d’étude en vue d’une AMM et donc aucun ne peut être qualifié de médicament. Néanmoins, se basant sur les effets biologiques évidents du THC, certains prétendent utiliser la plante cannabis elle-même.
Or, la composition en THC et autres composés est extrêmement variable suivant le plant (à cet égard, la teneur en THC n’a cessé d’augmenter dans le cannabis lors des dernières années). Cette variabilité s’oppose à la conception que l’on a d’un médicament, qui doit être une substance pure, agissant à des doses déterminées. De plus, jusqu’à présent, étant donné l’insolubilité du THC, traiter des patients en leur faisant fumer soit la plante elle-même, soit sa résine, reste une méthode peu contrôlable, tant le passage des principes à l’organisme est aléatoire.
Enfin, le THC étant essentiellement soluble dans les lipides, sa rémanence et son élimination sont des paramètres difficiles à appréhender, encore une difficulté qui s’oppose à la notion de médicament !
Recherche oui, légalisation non
Comme on le voit, seule une substance issue du cannabis et ayant obtenu une AMM pourrait être qualifiée de « médicament », comme ce fut le cas pour bon nombre de molécules d’origine végétale présentes aujourd’hui dans notre pharmacopée. Ceci n’exclut pas que les recherches puissent se poursuivre pour mieux connaître les mécanismes d’action du cannabis. Pour autant, nul ne devrait en conscience utiliser l’argument du « médicament » pour justifier sa légalisation. Quand on connaît les ravages provoqués par son usage, en particulier chez nos adolescents, ce n’est pas supportable. »
(1) Membre du Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies.
Source : Ouest France