Gérald Darmanin, désormais ministre de la Justice, a récemment présenté sa feuille de route pénale, dans laquelle la lutte contre le « narcotrafic » occupe la première place. Cette annonce, aussi prévisible qu’une horloge suisse, s’inscrit dans la continuité d’une rhétorique sécuritaire qui peine à masquer l’échec patent de décennies de prohibition.
Lutte contre le narcotrafic : un écran de fumée ?
Le ministre a martelé que la lutte contre le « narcotrafic » devait être une « priorité absolue », en insistant sur des mesures telles que le renforcement des enquêtes patrimoniales, les saisies systématiques de biens et leur liquidation accélérée. Cependant, ces mesures, bien qu’impressionnantes sur le papier, restent insuffisantes pour s’attaquer aux causes structurelles du trafic de stupéfiants. En l’absence d’une régulation du marché des stupéfiants, les bénéfices générés par le trafic continueront d’alimenter les réseaux criminels. Ces solutions administratives ne font qu’effleurer le problème, laissant intactes les dynamiques profondes qui maintiennent ce système criminel florissant. Prenant l’exemple des Rolex « entassées » au dépôt de Marseille et des voitures immobilisées en fourrière, Gérald Darmanin cherche à illustrer une fermeté administrative. Mais derrière cette façade de rigueur se cache une problématique centrale : la prohibition elle-même est la source de ces « gains induits par la criminalité » qu’il entend combattre.
Le trafic de stupéfiants prospère précisément parce que les substances interdites sont maintenues hors du cadre légal. En désignant les consommateurs comme des boucs émissaires et en criminalisant les acteurs du marché noir, la prohibition alimente un système intrinsèquement criminogène. Chaque euro blanchi, chaque Rolex saisie, chaque voiture immobilisée découle directement de cette politique absurde et contre-productive.
Des interdictions de paraître : une politique d’exclusion
Gérald Darmanin propose également des « interdictions de paraître » pour éloigner les délinquants de certaines zones. Or, des mesures similaires ont été appliquées dans d’autres contextes, comme à Marseille, sans parvenir à réduire durablement la délinquance. Elles déplacent souvent le problème plutôt que de le résoudre. Cette mesure, présentée comme un outil de sécurité publique, s’apparente davantage à une politique de gestion territoriale par l’exclusion. Or, déplacer le problème d’une zone à une autre ne résout en rien ses causes profondes. Ce n’est qu’une manière de cacher la poussière sous le tapis, au détriment des quartiers marginalisés qui concentrent déjà les inégalités sociales et économiques.
Le Parquet national anticriminalité organisée : une fausse solution
La création d’un Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), annoncée pour janvier 2026, vise à coordonner la lutte contre les crimes les plus graves. Mais cet énième organe centralisé risque de s’ajouter à une bureaucratie déjà pléthorique, sans apporter de solution concrète au problème de fond : face à une problématique internationale comme le trafic de stupéfiants, une approche centralisée peine à lutter contre des réseaux mondialisés et diversifiés. La criminalité organisée prospère en s’adaptant aux interdictions, et c’est précisément l’existence des marchés illégaux, maintenus par la prohibition, qui alimente cette dynamique.
Gérald Darmanin promet de doubler le nombre de magistrats affectés à la lutte contre le « narcotrafic », avec 100 magistrats supplémentaires d’ici 2027. Pourtant, ces renforts ne feront qu’alimenter une machine judiciaire engorgée par des affaires qui pourraient être évitées en légalisant et en régulant le marché des stupéfiants.
Une surenchère répressive aux solutions inefficaces
La proposition de loi, Blanc-Durain, visant à sortir la France du piège du « narcotrafic », débattue depuis ce mardi 28 janvier au Sénat et soutenue ici par Gérald Darmanin et marqué par une approche sécuritaire, illustre une incohérence fondamentale : en se concentrant exclusivement sur l’offre et l’alourdissement des sanctions, elle néglige totalement les enjeux de santé publique et de prévention. L’absence de mesures pour traiter la demande croissante, comme la consommation de cocaïne, ou pour proposer des alternatives pragmatiques à la prohibition, limite considérablement son efficacité. En outre, certaines propositions, telles que la création de « narcoprisons » ou l’assimilation du trafic de stupéfiants à une menace terroriste, relèvent davantage du symbolisme répressif que d’une réelle volonté de résoudre les causes profondes du problème. Ce choix d’une surenchère punitive accentuera davantage les effets criminogènes de la prohibition et détournera encore plus de ressources publiques vers des solutions inefficaces, au détriment d’approches globales et humaines.
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Et les violences faites aux personnes ?
Bien que le ministre évoque les violences faites aux femmes et aux enfants comme une autre priorité, les chiffres actuels démontrent que la justice manque cruellement de moyens pour traiter ces affaires. Si 100 juges pour enfants supplémentaires sont annoncés d’ici 2027, cette mesure reste insuffisante face à l’ampleur des besoins. De plus, les ressources budgétaires considérables allouées à la lutte contre le trafic de stupéfiants auraient pu être investies dans des secteurs clés, comme la protection des victimes de violences intrafamiliales, où les moyens manquent cruellement.
Une hypocrisie persistante
Gérald Darmanin semble oublier que la prohibition du cannabis, et plus largement des stupéfiants, est un échec structurel. Elle alimente les mafias, surcharge les tribunaux, détourne les forces de l’ordre des crimes violents et stigmatise des millions de consommateurs. La feuille de route présentée n’est qu’une nouvelle tentative de maintenir un système en bout de course, sans remise en question des choix politiques qui en sont à l’origine.
Pourtant des propositions alternatives existent
Pour « combler le manque sanitaire et social » de la proposition de loi examinée au Sénat, les écologistes Guy Benarroche et Anne Souyris ont présenté lundi 27 janvier leur propre texte « sur la dépénalisation de l’usage de drogue ». Une énième tentative, à gauche, de repositionner un débat centré depuis des décennies sur la seule répression des vendeurs et de leurs clients. Lire l’article de Libération sur cette proposition de loi.
En parallèle, une « mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants » confiée aux députés Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (EPR, parti présidentiel) doit rendre son rapport mi-février. Selon le député insoumis, les corapporteurs partagent l’ambition de s’engouffrer dans « les angles morts » de la proposition de loi Blanc-Durain pour « sortir de la seule réponse répressive ».
Une alternative nécessaire
Face à cette stratégie répressive, le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique (CIRC) propose une alternative fondée sur la légalisation, la régulation et l’autoproduction. En encadrant la production et la vente de cannabis dans des circuits légaux, comme cela a été fait en Uruguay, au Canada, ou plus récemment en Allemagne, en permettant l’autoproduction pour un usage personnel et en soutenant les Cannabis Social Clubs, nous pourrions non seulement tarir les sources de financement des mafias, mais aussi réorienter les ressources publiques vers des priorités réelles : santé publique, prévention et justice sociale. Ces exemples concrets montrent qu’une régulation encadrée peut efficacement réduire la criminalité liée aux marchés noirs.
La criminalité organisée ne disparaîtra pas en augmentant le nombre de magistrats ou en multipliant les saisies. Elle s’éteindra lorsque le marché des stupéfiants cessera d’être un monopole criminel et deviendra un secteur régulé, transparent et contrôlé par l’État. Loin des Rolex saisies et des annonces spectaculaires, la véritable priorité doit être une réforme profonde de nos politiques en matière de drogues. Le temps est venu d’agir avec pragmatisme et courage politique.
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