En cette fin d’année 2024, la Pologne s’illustre comme un champ de bataille emblématique dans la lutte pour l’accès au cannabis médical et au CBD en Europe. Alors que le pays avait connu une croissance fulgurante de son marché de cannabis médical, les récentes réglementations restrictives et les propositions d’interdiction du CBD marquent un tournant inquiétant.
Un marché en pleine expansion brisé par la répression
Depuis l’introduction du cannabis médical en 2017, le marché polonais avait connu une ascension remarquable. Les prescriptions étaient passées de 11 400 en 2020 à 313 000 en 2023, et le volume de cannabis consommé avait triplé entre 2022 et 2023, atteignant 2 600 kilogrammes. Cependant, cette dynamique a été brutalement freinée par des mesures imposées en novembre 2024.
Le ministère de la Santé polonais a mis fin aux consultations à distance pour les premières prescriptions et limité cette pratique aux patients ayant déjà consulté en personne. Ces restrictions, impopulaires, ont fait chuter les ordonnances de manière spectaculaire, passant de 68 000 en octobre à seulement 28 000 en décembre. Ces mesures mettent en péril un marché qui avait atteint 42 millions d’euros en 2023, tout en privant des milliers de patients de traitements essentiels.
Ces restrictions, critiquées par les associations de patients et les professionnels de santé, illustrent une méfiance persistante envers le cannabis médical, perçu à tort comme un produit de consommation récréative. Pourtant, les données montrent clairement ses bienfaits pour des pathologies graves telles que l’épilepsie ou la sclérose en plaques.
La menace d’une interdiction du CBD
En parallèle, le gouvernement polonais propose un projet de loi visant à classer les produits à base de CBD et de chanvre non intoxicants comme des stupéfiants lorsqu’ils sont destinés à être fumés ou vaporisés. Bien que les huiles de CBD et les produits à base de chanvre industriel ne soient pas concernés, cette mesure menace directement les entreprises spécialisées dans les produits à inhaler.
Le gouvernement justifie cette proposition par des préoccupations autour de la « toxicomanie », une affirmation largement contredite par les données scientifiques concernant le chanvre à faible teneur en THC (< 0,3%). En effet, la consommation de CBD sous forme inhalée ne présente aucun risque d’addiction ou de déviation vers des usages récréatifs. Cette initiative pourrait marquer un précédent en Europe, alors que des discussions similaires ont lieu en Allemagne et au Royaume-Uni.
Si cette loi venait à être adoptée, elle pourrait non seulement fragiliser les entreprises polonaises mais également renforcer les marchés noirs, rendant le contrôle des produits encore plus complexe et augmentant les risques pour les consommateurs.
Une décision controversée
Les acteurs du secteur et des avocats soulignent que la décision du ministère pourrait être contraire à la loi. En conséquence, certaines cliniques en ligne continuent leurs activités au risque de sanctions. Pendant ce temps, les détenteurs d’autorisations de mise sur le marché (MAH) intensifient leurs pressions pour résister à ces réformes.
Arek Kuich, expert de l’industrie, explique que ces changements pourraient être liés à des stratégies politiques avant les élections présidentielles de mai 2025. Une interdiction totale avant cette date pourrait affaiblir le soutien au parti au pouvoir, retardant potentiellement l’adoption de la loi. Cette instrumentalisation politique du cannabis médical démontre à quel point les enjeux de santé publique sont parfois relégués au second plan au profit de calculs électoraux.
Une répercussion européenne ?
La Pologne pourrait être le premier domino dans une répression élargie à l’échelle européenne. La question du cannabis médical et du CBD, hautement politisée, devient un terrain de confrontation entre des intérêts économiques, des préjugés sociétaux et les droits des patients.
Ce contexte souligne également le besoin urgent d’une harmonisation européenne des régulations liées au cannabis. Alors que certains pays, comme l’Allemagne, avancent sur la légalisation, d’autres, comme la Pologne, reculent, créant une fragmentation qui nuit à la cohérence des politiques de santé publique en Europe.
En tant que militants antiprohibitionnistes, nous devons résister à ces tentatives de régression. Le CIRC appelle à une solidarité internationale pour dénoncer ces mesures et prôner une législation fondée sur la science, les droits individuels et l’accès à des soins de qualité.
L’avenir du cannabis médical et du CBD en Europe dépend de notre mobilisation collective. La Pologne ne doit pas devenir un symbole de recul, mais une étape vers une réforme plus juste et éclairée.
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