Pendant que le président Macron gonfle ses biceps sécuritaires, autant se souvenir que légaliser le cannabis permettrait de mieux assurer la protection des populations.
Messieurs du gouvernement, estimables élus du peuple qui avaient décidé de mener la lutte contre la drogue à grand renfort de barnums intitulés «Place nette», je vous demande de vous arrêter. Votre tintamarre sent à plein nez l’esbroufe et la galéjade. Ce ne sont que coups de menton et postures martiales à destination des gogos. La seule manière durable de limiter le narcotrafic est que l’Etat assure la commercialisation du cannabis tout en médicalisant l’accès aux autres substances vénéneuses.
Pétarade marseillaise
L’autre jour à Marseille, une triplette infernale a joué les gros bras. Il y avait là le Président en personne. Battling Manu a la faiblesse de penser que sa présence galvanise les troupes. Le voilà donc qui se réinvente en adjudant prêt à brailler des «en avant, les petits gars !» aux renacleurs comme aux envapés. A la Castellane, il plastronnait bras croisés devant les préfets et autres sommités locales en grand uniforme. C’est comme si ses récents biceps immortalisés par sa photographe particulière devaient faire craquer les coutures du costume bleu, et qu’il n’avait quitté qu’à regret ses gants de boxe.
On entendait presque grincer sa mâchoire, tel Mike Tyson prêt à dévorer l’oreille du pire revendeur ricaneur comme du moindre sous-commandant peu allant. Habitué à parader devant les tableaux de chasse de saisies forcément records, Gérald Darmanin n’a pas traîné à monter en gamme. Le ministre de l’Intérieur songe, paraît-il, à obliger les passants à ouvrir le bec pour satisfaire à un test salivaire capable de détecter les mauvaises haleines chargées de THC. Eric Dupond-Moretti, que l’on croyait moins basique, se lance lui aussi dans la chasse aux consommateurs.
L’argument culpabilisateur est le suivant : sans demande, il n’y aurait pas d’offre. Malin ! Donc les fumeurs de joints seraient responsables de la guerre des gangs et leur pétard du samedi aurait, selon l’ancien avocat, «le goût du sang séché sur le trottoir».
Cinéma fumeux
Il est vrai que le marché prospère, que les types de stupéfiants se multiplient, que les villes moyennes sont touchées. Certains quartiers deviennent des territoires perdus de la République où les trafiquants font la loi et où les «FDP» – acronyme qui fleurit sur les murs, à traduire comme il vous plaira par «forces de police» ou «fils de pute»? – ne peuvent plus glisser un orteil sans se faire canarder. Mais il est étonnant de voir que l’unique réponse martelée par le pouvoir est la répression bête et méchante. Si cela donnait des résultats, je me laisserais volontiers convaincre, tant je comprends la fatigue des riverains et la saturation des édiles municipaux. Mais le désastre s’enkyste. Un matin, on fait place nette. Illico, la bourse aux échanges migre, les sites de vente se numérisent. Quelques jours après, les guetteurs repointent leur museau avant que les fourgues déploient leurs étals.
C’est comme si chacun faisait son cinéma, et que rien n’avait bougé. Le topo est identique en 1930, en 1970, en 2020, de Borsalino avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo à French Connection avec Gene Hackman avant de finir par BAC Nord avec François Civil et Gilles Lellouche. Lutte des clans pour le contrôle des territoires, bisbilles entre services de police, indics à cajoler et infiltrés à protéger. Sans oublier le frisson du client qui se croit initié quand il est juste méprisé et qui se donne l’illusion de frauder avec l’ordre bourgeois quand il conforte un système ultralibéral.
En finir avec la prohibition
Devant la vacuité des postures militaires, il serait temps que la France tente autre chose, à l’égal de différents pays de par le monde. La prohibition génère le crime, décime les clans et surpeuple les prisons. Au contraire de la dépénalisation qui ravirait les dealeurs, la légalisation représente une solution sanitaire et fiscale intéressante. Elle permet de garantir la qualité des produits, de produire local et de récolter des taxes afin de mener des campagnes de prévention tant les humains ont le chic pour conjuguer plaisir et autodestruction. Cette approche n’a rien d’une solution miracle, mais aiderait à soulager les forces de l’ordre et à pacifier des enclaves submergées par une délinquance endémique.
Que le RN et la droite soutiennent les interdits, il n’y a là rien que de très normal. Que le macronisme versatile veuille répondre à la demande d’autorité qui bouchonne sur les flots d’anxiété des populations, on avait compris. Mais que la gauche soit incapable de pousser une initiative progressiste de ce genre, cela me désole. Depuis Hollande, le PS a toujours été prudent, sinon défaillant en ces matières. Les insoumis et les écolos, eux, semblaient partants pour repenser la distribution du cannabis. Aujourd’hui, ils sont devenus inaudibles. C’est comme si la droitisation générale avait rendu inexprimables ce genre de propositions de bonne volonté.
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