Pour des milliers de malades souffrant de certaines formes d’épilepsies, de douleurs neuropathiques, d’effets secondaires de chimiothérapie de soins palliatifs ou de scléroses en plaques, l’expérimentation du cannabis thérapeutique nourrit beaucoup d’espoirs.
Publié le 16 septembre 2020 | Par La Dépêche
(AFP) – Des années d’opioïdes l’avaient transformée de son propre aveu en « zombie ».
Depuis trois mois, Catherine* traite illégalement les douleurs causées par sa maladie au cannabis et, comme nombre de patients, s’agace du retard pris par l’expérimentation de son usage médical.
La quinquagénaire, qui souhaite témoigner de manière anonyme, a frôlé la mort en 2013 lors d’une rupture d’anévrisme puis développé une fibromyalgie, qui lui cause « des douleurs constantes, intenses, de la tête jusqu’aux doigts de pieds », au point de l’empêcher de marcher.
Pour apaiser ces douleurs, les médecins lui ont prescrit un opioïde, le tramadol. Classé dans la catégorie des antalgiques « faibles », ce médicament aux effets comparables à l’opium l’entraînait vers des doses « toujours plus importantes ».
« Je n’étais plus moi », explique Catherine. « J’étais absente tout le temps, je n’arrivais plus à réfléchir, à rire, je n’avais plus d’émotions. »
Effrayée, elle a arrêté son traitement et se croyait condamnée à un quotidien empreint de souffrances. Jusqu’à ce que son « ras-le-bol » la décide à expérimenter le cannabis comme anti-douleur.
L’Occitane observe désormais le même rituel lorsque les douleurs se font trop fortes. Elle mixe finement quelques feuilles séchées de la plante pour les faire bouillir longuement dans du lait, avant de boire la décoction jaunâtre qui en résulte.
Grâce à cette « potion », la douleur « redevient supportable, disparaît même parfois ». Surtout, « je me suis retrouvée, moi et mes émotions, j’ai le moral et je peux profiter de mes proches », confie Catherine de son léger accent du sud.
La patiente, suivie dans un centre anti-douleur, a prévenu tous ses médecins de son choix.
« Comme c’est illégal, certains ont essayé de me dissuader » et ferment désormais les yeux, raconte-t-elle. D’autres ont eu des réactions plus ambigües. « Mon neurologue ne m’a jamais dit qu’il était contre, mais il ne m’a pas poussé non plus. »
– « Tabou » –
Sa démarche clandestine empêche un vrai suivi médical. Résultat, Catherine, qui n’a « jamais tiré sur un joint », se retrouve livrée à elle-même pour doser sa consommation. Par prudence, elle dit se limiter à un gramme et demi de cannabis, une fois par semaine.
Pour elle et des milliers de malades souffrant de certaines formes d’épilepsies, de douleurs neuropathiques, d’effets secondaires de chimiothérapie de soins palliatifs ou de scléroses en plaques, l’expérimentation du cannabis thérapeutique nourrit beaucoup d’espoirs.
Approuvé en 2019, le projet devait initialement débuter en septembre, puis a été repoussé à janvier. Mais le décret pour permettre son démarrage n’est toujours pas paru et de nombreux médecins s’inquiètent d’un possible nouveau report.
Les députés de la mission parlementaire sur les différents usages du cannabis ont dénoncé mercredi, dans un rapport d’étape, « le retard préoccupant » pris par l’expérimentation et appelé le gouvernement à aller vite: l’autorisation délivrée par l’Assemblée nationale n’est valable que jusqu’au 31 décembre 2021.
Face à cette situation, Catherine se dit « en colère ». « Pourquoi la France est-elle aussi coincée ? », s’interroge-t-elle, alors que de nombreux voisins européens comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie ont déjà légalisé l’usage du cannabis médical.
« On parle d’un anti-douleur, pas d’une drogue », plaide cette grand-mère, qui avoue avoir eu du mal à changer son propre regard sur la plante. Avec de nombreux policiers dans son entourage, le cannabis a longtemps été pour elle un « tabou ».
Pour éviter de contribuer au commerce des trafiquants, Catherine cultive désormais cinq pieds chez elle.
Ses plantations ont surpris son mari comme ses enfants. « Ils n’auraient jamais cru ça de moi, mais je m’en fous », lâche-t-elle, « je préfère de loin avoir un anti-douleur naturel, qui ne me rende pas tarée. »
Un discours que la quinquagénaire, qui encourt jusqu’à un an de prison et 3.750 euros d’amende pour usage de stupéfiants, se dit prête à porter « devant un tribunal ». « Quand on en arrive à ce niveau-là de douleur, il n’y a plus rien qui fait peur. »
*Prénom modifié
Source La Dépêche