Culture du haschich
Depuis l’année dernière, l’offre sur le chanvre indien est plus importante que la demande, alors que la guerre en Syrie empêche l’exportation par voie terrestre.
La récolte de cannabis n’a pas encore été entamée dans la Békaa et pourtant, normalement, les agriculteurs commencent à couper ces plantes robustes à l’odeur enivrante après la fête de la Sainte-Croix, le 14 septembre, et cela que ce soit dans les villages chiites ou chrétiens de la plaine.
Mais cette année, la récolte n’a pas encore commencé, et dans de nombreux villages du caza de Baalbeck, l’horizon est tout vert… vert couleur haschich.
Parfois, ce sont de petits champs de tabac ou de pommes de terre que l’on voit ici et là dans l’immense océan de cannabis. Aujourd’hui, selon des sources concordantes, près de 60 % de la Békaa sont plantés de chanvre indien, les autorités ayant cessé depuis la guerre en Syrie de brûler des champs, fermant les yeux sur cette plante illicite, qui aurait due être éradiquée durant les années quatre-vingt-dix dans le cadre d’un plan gouvernemental qui n’a pas abouti.
Qu’est-ce qui ralentit aujourd’hui la récolte du cannabis ? La réponse est très simple : elle obéit à la simple règle de l’offre et de la demande. Comme tous les agriculteurs de la Békaa se sont remis à planter leurs terrains de chanvre indien, l’offre est devenue plus importante que la demande et les prix ont chuté pour atteindre 200 dollars le kilo de cannabis. De plus, la marchandise de l’année dernière n’a pas encore été écoulée et attend dans les granges des agriculteurs.
« Le cannabis ne peut pas se conserver au-delà de trois ou quatre ans », indique à L’Orient-Le Jour le président du conseil municipal de Yammouné, Talal Chreif. De son côté, le moukhtar de Deir el-Ahmar, Samir Habchi, précise à L’OLJ qu’ « il y a quelques années, le kilo de cannabis se vendait aux alentours de 400 dollars ». « Il a même atteint les 1 200 dollars, à la fin des années quatre-vingt-dix, quand l’État luttait activement contre la production », souligne-t-il. De son balcon, il montre un immense champ de cannabis dans un village voisin. « Ce sont les terrains de Nouh Zeayter (important producteur de cannabis et dealer de drogue), même lui n’a pas encore entamé la récolte », dit-il.
Le cannabis libanais fait également face à une autre difficulté : l’écoulement et l’exportation de la marchandise.
(Lire aussi : Cultiver le cannabis serait bientôt réglementé au Liban, mais en consommer sera toujours interdit)
Marché égyptien
Le chanvre indien produit au Liban n’est pas écoulé sur le marché libanais. Plus de 90 % de la production sont exportés vers l’étranger, dont 60 % vers l’Égypte, le pays étant connu pour être un grand consommateur de cannabis.
« Avant la guerre en Syrie, la marchandise était acheminée par voie terrestre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui à cause des différentes forces présentes sur le terrain », souligne M. Chreif. Il n’est donc plus rentable pour un dealer d’opter pour le chemin syrien, car il devrait payer plusieurs factions pour garantir l’acheminement de sa marchandise. Cela se faisait auparavant avec une seule partie.
Comme la région est actuellement instable, la sécurité est renforcée sur toutes les frontières, notamment aérienne et maritime. « Les forces de sécurité libanaises sont sur le qui-vive, à la recherche d’armes quittant le Liban. Grâce au renforcement des mesures de sécurité, la police, l’armée et la douane saisissent également de la drogue. Nombre de personnes ont perdu au cours des dernières années des millions de dollars lors de saisies aux frontières maritimes ou à l’aéroport », explique pour sa part M. Habchi.
Le plan sécuritaire mis en place il y a quelques mois par les forces armées libanaises dans la Békaa a en outre pour effet d’intimider les habitants, même s’ils savent que la police et l’armée n’interviendront pas quand les champs seront coupés, l’État, selon MM. Chreif et Habchi, ayant entrepris de plancher sur une loi pour légaliser le cannabis.
Plus encore, la plantation des champs et leur irrigation se produisent désormais au vu et au su de tout le monde. D’ailleurs, en se promenant dans la Békaa, on aperçoit en de nombreux endroits des barrages de l’armée mis en place devant d’immenses champs de cannabis.
Quoi qu’il en soit, le cannabis sera prochainement coupé. Les agriculteurs n’attendront pas les premières pluies. Car une fois coupées, si elles ne sont pas achetées sur le champ, ces jolies tiges vertes doivent sécher plusieurs jours au soleil avant d’être rangées dans des granges à l’abri de l’humidité. C’est en décembre, avec le froid qui touche la vallée de la Békaa, que ces plantes seront réduites en poudre et transformées en pâte brunâtre. Mais cela est une autre affaire.
Source : L’Orient du Jour