Le cannabis thérapeutique devrait être expérimenté l’an prochain en France. Le rhumatologue Serge Perrot répond aux questions soulevées par ce test, mardi sur Europe 1.
Après plusieurs années de débat, le cannabis thérapeutique va être expérimenté l’an prochain en France. Mais qui y aura droit ? Qui pourra en prescrire ? Sous quelle forme se présentera ce cannabis thérapeutique ? Le professeur Serge Perrot, rhumatologue, répond à toutes ces questions mardi, dans l’émission « Sans rendez-vous » sur Europe 1.
La France va expérimenter le cannabis thérapeutique chez certains malades, mais qui sera concerné ?
« Il risque d’y avoir des déceptions, car l’idée n’est pas de mettre à disposition le cannabis thérapeutique pour tous les patients qui en ont besoin. L’idée c’est de mettre en place une expérimentation. Il ne s’agit pas de savoir si le cannabis thérapeutique est efficace, mais comment cela va se passer. Ce sont surtout des questions pratiques : qui va le prescrire, qui va renouveler, où est-ce que les personnes vont-elles se fournir, quelle va être la durée de prescription ? »
Quelles sont les conditions pour le tester ?
« Il y a cinq situations en France pour lesquelles le cannabis va être expérimenté : l’espace douloureux de la sclérose en plaques, l’épilepsie rebelle, les soins de support en cancérologie, les soins palliatifs et la douleur chronique. En France, on considère qu’environ 12 millions de Français souffrent de douleurs chroniques. Dans ces cas-là, les médicaments ne sont pas très efficaces. On estime donc qu’environ 4 millions de Français n’ont pas de solutions et pourraient justifier d’un traitement au cannabis. Le cannabis soulage, détend, améliore le sommeil et l’anxiété. Mais, malheureusement, ce n’est pas le grand médicament de la douleur. »
Où les patients pourront-ils se faire prescrire du cannabis thérapeutique ?
« Cela va se passer en deux temps. Dans un premier temps, il y a cinq situations en France pour lesquelles le cannabis va être expérimenté (cf. plus haut). A chaque fois, les patients se rendront chez les spécialistes. Par exemple pour la douleur, il y a 38 centres de la douleur en France qui vont participer à l’expérimentation. Ce sera dans ces centres que les patients pourront s’en faire prescrire.
Les patients qui vont le tester devront être motivés, car ils seront énormément étudiés. Ils vont avoir à remplir des questionnaires sur papier et en ligne. Et puis dans un second temps, on va voir comment cela va se passer. Le médecin généraliste pourra éventuellement renouveler la prescription. Les pharmaciens pourront en proposer, mais ce sera des plantes. Il y aura plusieurs formules différentes de cannabis. On va expérimenter le type de cannabis, quelle type de plantes, pour combien de personnes, etc… »
Peut-on espérer, avec le cannabis, améliorer les conditions de vie de personnes en chimiothérapie ?
« Des études récentes sont assez décevantes. Il y a de bien meilleurs médicaments contre les nausées lors des chimiothérapies. Au long cours, on sait que le cannabis peut améliorer l’appétit. Mais il y a beaucoup de fantasmes et d’idées reçues sur le fait que le cannabis résoudrait tous les problèmes. »
Sous quelle forme le cannabis thérapeutique sera-t-il consommé ? Ce ne sera pas des joints à fumer ?
« Non. D’abord ce sont des plantes, sous diverses formes : des résines, des infusions, du vapotage, des gélules, des crèmes… Toutes sortes de préparations seront proposées par les spécialistes, avec différents dosages. Il y a deux grands composés dans le cannabis : le CBD, qui a un effet relaxant et qui va traiter plutôt l’épilepsie, puis le THC, qui a un effet psychodysleptique, c’est-à-dire qu’il vous fait planer et agit sur la douleur. C’est tout cela qu’il faut considérer chez chaque patient. Selon la maladie, le médecin va décider de donner soit plus de CBD, soit plus de THC. L’expérimentation vise à évaluer l’efficacité et la tolérance au cannabis thérapeutique. Si des patients ressentent des effets euphorisants ou désagréables, ils devront tout de suite appeler leurs médecins. Mais a priori, les dosages ne sont pas les mêmes que ceux dans le cannabis récréatif. Ce sera davantage évalué. »
La légalisation du cannabis thérapeutique va-t-elle ouvrir la voie à la légalisation du cannabis récréatif ?
« C’est effectivement de légaliser le cannabis thérapeutique et de dire ensuite que c’est dangereux. Mais c’est la même chose pour la morphine, qui est autorisée pour traiter les douleurs et interdit dans le domaine public. Tout médicament est une drogue, avec le bon et le mauvais effet de la drogue. L’expérimentation c’est le bon usage d’une substance, sans préjugés, avec le bon dosage pour chaque patient. »
La France est-elle en retard par rapport à ses voisins européens ?
« De nombreux pays l’utilisent déjà : l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne… Mais dans certains pays, notamment en Allemagne, il y a des dérives, et certains médecins n’arrivent plus à contrôler la situation. C’est également compliqué en Angleterre. Il est assez facile, dans ces pays, de se trouver une douleur et de faire passer sa demande récréative par une demande thérapeutique. En France, ce retard permettra peut-être de tirer les leçons de ces erreurs. »
Source : Europe 1