Dix-huit policiers et ex-policiers comparaissent à partir de lundi devant le tribunal correctionnel. En 2012, cette unité avait fait scandale et été dissoute, mais après neuf ans d’enquête, les charges retenues ont été revues à la baisse.
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
«Plus je fais ce métier, moins je le fais… Je comprends pas comment on en est arrivé là, en fait.» La voix de l’acteur Gilles Lellouche clôture la bande-annonce haletante de ce qui s’annonçait comme le blockbuster des fêtes de fin d’année 2020. BAC Nord, le polar signé Cédric Jimenez, devra attendre que le Covid se tasse avant d’envahir les écrans. C’est d’abord la version réaliste, celle qui a inspiré la fiction, qui se jouera dans l’enceinte du tribunal correctionnel de Marseille : à partir de lundi, 18 policiers issus de la brigade anticriminalité des quartiers Nord de la ville sont attendus à la barre pour s’expliquer sur une histoire de corruption présumée qui, lors de sa révélation dans la presse il y a neuf ans, avait provoqué un scandale national.
«Une impression de gangrène», résume devant la presse le procureur de la République d’alors, Jacques Dallest, lorsque l’affaire éclate. On est en octobre 2012. Après des mois d’enquête, c’est une trentaine de policiers, œuvrant sur le terrain difficile des cités du nord de Marseille où le trafic est roi, que pointent du doigt les enquêteurs de l’IGPN. Les écoutes, réalisées dans six véhicules de fonction ainsi que dans les bureaux de la BAC, révéleraient notamment «tout le catalogue des agissements les plus inacceptables», selon le procureur. «Récupération» d’argent de la drogue, «partage» de butins, rémunération d’indics avec des stupéfiants issus de saisies… Lors de perquisitions à leur domicile, la police des polices découvre de l’argent liquide et des barrettes de cannabis, également retrouvées dans les faux plafonds des vestiaires de ces unités. Bref, des authentiques «ripoux», comme le cinéma les affectionne…
4 000 interpellations par an au compteur
Dans la foulée, sept des policiers incriminés sont écroués préventivement durant deux mois et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, sonne le glas de la BAC Nord, décidant de dissoudre l’équipe de jour. Un coup d’autant plus sévère qu’au royaume de la politique du chiffre, la BAC Nord de Marseille occupe alors le trône, ses 70 policiers affichant plus de 4 000 interpellations par an au compteur. En attendant l’intervention de la justice, plusieurs d’entre eux font aussi l’objet de sanctions disciplinaires, allant de la suspension provisoire à la révocation définitive pour trois d’entre eux.
La suite de l’enquête se révèle plus complexe. A commencer par l’instruction, qui prendra neuf longues années pour aboutir, en 2019, au renvoi de 18 personnes en correctionnelle pour des faits allant du «vol aggravé» à l’«acquisition» ou la «cession non autorisée de stupéfiants». Le juge d’instruction, pour qui le dossier met au jour «la réalisation systématique d’infractions pénales, allant bien au-delà d’un simple laisser-aller professionnel ou d’un manque de rigueur», n’a finalement pas retenu la circonstance aggravante de «bande organisée». «A l’époque, on parlait même d’association de malfaiteurs, des crimes qui relèvent des assises ! Mais en neuf ans, les charges ont considérablement été revues à la baisse, pointe Alain Lhote, l’avocat de l’un des prévenus. De la gangrène, on est passé au rhume des foins !»
Et de dénoncer le «bûcher judiciaire» allumé au départ par le procureur Dallest, puis alimenté par «beaucoup d’hypocrisie de la part de la hiérarchie», le tout «au mépris de la présomption d’innocence». Sans parler des fragilités de l’enquête, à commencer, selon lui, par les écoutes réalisées par l’IGPN : «Les sonorisations ont été transmises pour vérification à un laboratoire de police qui a conclu qu’entre 67 et 70 % étaient inexploitables, inaudibles, soutient l’avocat. Pour exemple, un policier qui dit “ça sent bon“, cela se transforme en “500 euros“… Et il y en a d’autres !»
«Mauvaise réputation marseillaise»
Pour les écoutes plus explicites, les policiers mis en cause invoquent parfois la plaisanterie. Quant aux vols reprochés, ceux qui sont reconnus, comme une sacoche avec 750 euros ou des cartouches de cigarette, ils plaident l’écart de conduite exceptionnel, les lourdeurs de la procédure de saisie qu’ils ont voulu s’épargner ou encore la culture du chiffre. «Mauvaise réputation marseillaise, pratiques limites, non-respect des consignes ? C’est certain, concède Alain Lhote. Mais infraction pénale ? C’est au tribunal de juger…»
«Ça va être compliqué, je plains la juge, avec toute cette pression politique, souffle un policier marseillais, soutien de la première heure des prévenus. Ce dossier, c’est presque risible, tout s’est dégonflé, mais comment acquitter des mecs révoqués par la police ? Ça serait une bombe… Mais le ressenti des collègues, c’est qu’ils ont confiance en la justice.» Certains ont repris leurs activités dans des communes proches de Marseille, d’autres sont même revenus exercer dans la ville. «Le temps fait son effet, mais dans la tête, ça existe quand même, poursuit-il. D’autant qu’avec le procès, ils risquent encore une interdiction judiciaire d’exercer.»
Le client d’Alain Lhote, lui, fait partie des révoqués. Il travaille aujourd’hui dans une commune des environs marseillais, en charge de la gestion de la vidéosurveillance. Lorsque l’équipe du film BAC Nord est venue tourner près de Marseille, il a joué les conseillers techniques. Gilles Lellouche, qui s’est inspiré de lui pour son rôle, a évoqué leur rencontre en décembre sur France 5. «Un type très discret, très abîmé, très frustré», a confié le comédien. Le procès doit durer dix jours.
Source : Liberation.fr