Le tribunal correctionnel de Paris a condamné six agents de le brigade anticriminalité, notamment pour des faits de corruption, de trafic de stupéfiants, de violences et de procédures falsifiées. La peine la plus lourde a été prononcée contre Karim Mameche, dit «Bylka», chef informel de cette bande à la dérive.
par Ismaël Halissat
Les mains dans le dos, impassible, Karim Mameche écoute les motivations du jugement. Lundi 22 février, le tribunal correctionnel de Paris a condamné ce policier de la brigade anticriminalité (BAC) du XVIIIe arrondissement, franco-algérien, à huit années de prison pour une somme vertigineuse de délits : corruption, trafic de stupéfiants, procédures falsifiées, vols, blanchiment d’argent… « Vous avez trahi la confiance de l’institution policière », résume la présidente Isabelle Prévost-Desprez.
Cinq autres agents du même groupe, qui comparaissaient à ces côtés, ont été condamnés à des peines allant de un an avec sursis à quatre ans de prison dont deux avec sursis. « Pour quatre interpellations au moins effectuées par les policiers prévenus, l’autorité judiciaire a été trompée soit sur le motif légal du contrôle, soit sur les éléments constitutifs de l’infraction, deux de ces interpellations ont abouti à des emprisonnements », affirme la magistrate en énonçant son jugement. Deux anciens indics ont également été condamnés à cinq ans de prison pour l’un, et un an pour l’autre. Autant de peines très proches des réquisitions du parquet. Dés lundi, plusieurs avocats des policiers – dont celui de Karim Mameche -, ont annoncé leur intention d’interjeter appel.
« Au prétexte fallacieux et mensonger d’un travail sur le terrain, vous vous posez en policier, en procureur et en juge. »
— Isabelle Prévost-Desprez, présidente
Karim Mameche, surnommé « Bylka », principal prévenu du procès qui s’est tenu du 3 au 12 février, est donc reconnu coupable de tous les délits pour lesquels il était poursuivi. Le tribunal estime qu’il a dévoyé ses pouvoirs de policiers en les mettant à disposition « d’intérêts privés ». D’une part en mettant en œuvre un système d’«assurance» qui permettait à certains dealers de continuer à trafiquer tranquille. Un procédé qui relève de « l’arbitraire », «sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire». « Au prétexte fallacieux et mensonger d’un travail sur le terrain, vous vous posez en policier, en procureur et en juge », tacle la présidente. D’autre part, en procédant à l’interpellation de deux personnes, Aymen I. et Nazim B., qui venaient alors de se faire escroquer 245 000 euros par l’un des indics du policier, Ahmad Mahmood, dit « l’Hindou ».
Ce dernier a déclaré au cours de l’enquête et lors de l’audience, que Karim Mameche a touché 80 000 euros pour ce coup de pouce. « Monsieur Mahmood n’avait aucun intérêt à vous mettre en cause injustement, énonce la magistrate. Ces déclarations vous accusant le conduisent à être placé en détention. » Le tribunal considère par ailleurs que le départ en Algérie du policier au lendemain des faits, les importantes sommes d’argent liquide qu’il avait l’habitude de manipuler ou encore le fait qu’aucun retrait d’espèce n’apparaît sur son compte en quatre ans, sont des comportements compatibles avec la détention d’une telle somme.
« Grave trouble à l’ordre public et social »
Le policier est aussi condamné pour trafic de stupéfiant. Les sonorisations des véhicules de la BAC permettent au tribunal d’affirmer qu’il agissait comme un trafiquant. « Vous autorisiez, voire proposiez des terrains de deal», «vous étiez décisionnaire des points de vente qui feraient ou non l’objet de contrôle», «vous avez régenté le trafic de stupéfiant sur votre zone », énumère Prévost-Desprez. Enfin, Karim Mameche est aussi condamné pour du vol d’argent lors de deux interpellations. « Vous avez gravement troublé l’ordre public et social », conclut le tribunal qui prononce également une interdiction définitive d’exercer le métier de policier.
Tout comme son compère Aaron Berkane, condamné pour sa part à quatre ans de prison dont deux avec sursis. Le tribunal estime que les conditions dans lesquelles de la cocaïne a été découverte lors des interpellations de Aymen I. et Nazim B., à laquelle le policier a contribué, attestent que les procédures étaient falsifiées. « Des circonstances baroques », euphémise la présidente. Dans son jugement, le tribunal rappelle aussi sa grande proximité avec Karim Mameche. Comme lui, Aaron Berkane est condamné pour les vols d’espèces lors de deux interpellations. « Vous n’êtes pas digne d’exercice la fonction de policier », conclut la magistrate.
Quatre autres policiers ont également été condamnés : Mehmet Carman (un an avec sursis), Jean-Baptiste Bedouet (dix-huit mois avec sursis), Julian Thouin (dix-huit mois dont un an avec sursis) et Alexandre Curgy (deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis). Ces agents étaient notamment poursuivis pour avoir «habillé» une procédure. Ils affirmaient faussement dans un procès-verbal qu’un homme qu’ils avaient interpellé, puis placé en détention, détenait deux galettes de crack. Anticipant un éventuel tollé provoqué dans l’institution par les six peines de prison prononcées contre les agents, Isabelle Prévost-Desprez veut croire qu’« aucun policier respectueux de l’État de droit ne peut adhérer au comportement qui vient d’être rappelé ».
Source : Liberation.fr