Prohibition et fake news, ces derniers jours, la France est témoin d’une amplification médiatique et politique alarmiste digne des pires épisodes du « trumpisme » américain. Entre exagérations et fausses statistiques, certains dirigeants dépeignent une France sombrant dans la violence extrême et la criminalité – une vision alarmiste qui sert de prétexte à renforcer la répression au lieu de poser les bonnes questions.
Poitiers, entre faits divers et récupération politique
Jeudi 31 octobre dernier, des coups de feu éclatent dans une cité de Poitiers. La police intervient, et cinq jeunes se retrouvent blessés. Le récit officiel, relayé à l’infini, évoque un règlement de comptes lié au trafic de drogue. Cette situation, hélas banale en France, soulève des enjeux de sécurité publique et de politiques antidrogue. Pourtant, au lieu de pointer les failles de notre approche répressive, on privilégie le sensationnalisme. La France, rappelons-le, est le pays européen qui punit le plus sévèrement les consommateurs de cannabis, tout en affichant l’une des consommations les plus élevées. La contradiction de cette politique de prohibition est flagrante : elle ne fait qu’alimenter le marché noir, enrichissant ainsi des réseaux criminels tout en créant un climat d’insécurité dans les quartiers populaires.
La prohibition, au lieu de réguler ou d’atténuer les risques de consommation, est devenue une machine à produire de la violence. En interdisant la production et la vente de cannabis, elle laisse libre cours aux organisations mafieuses, tout en justifiant une répression accrue dans des zones où la population, marginalisée, subit contrôles au faciès et intimidations au quotidien. La réalité est pourtant connue depuis longtemps : là où la prohibition échoue à faire reculer la criminalité, des alternatives comme la dépénalisation ou la légalisation encadrée permettent de réduire les dangers.
L’exemple portugais : une réussite qui dérange
Le Portugal a su démontrer l’efficacité d’une politique fondée sur l’encadrement plutôt que la répression. Depuis plus de 20 ans, la dépénalisation y a permis non seulement de réduire les risques d’addiction, mais aussi de reprendre le contrôle sur les substances, en fournissant un accompagnement aux consommateurs et en décourageant les réseaux illicites. Les résultats sont éloquents, mais la France, aveuglée par un discours ultra-sécuritaire, continue de maintenir une prohibition qui ne fait que renforcer l’économie parallèle de la drogue.
Un discours médiatique alarmiste et biaisé
Les faits divers comme celui de Poitiers sont devenus le terreau des manipulations politiques. Bruno Retailleau, Ministre de l’Intérieur, ne tarde pas à qualifier l’événement de « rixe de 400 à 600 personnes », évoquant une « mexicanisation » de la France, avec l’idée que la violence des cartels mexicains s’installe dans nos quartiers. Des propos qui, sans surprise, sont repris et amplifiés par les médias dominants.
Sur RMC et BFM, des figures publiques, qui n’ont aucune expertise en matière de politique des drogues, propagent des données fallacieuses. On nous explique que la France serait « pire que le Mexique » en matière de criminalité, citant des indices de criminalité venus d’un site internet, Numbeo, fondé sur des avis d’internautes, sans aucune rigueur statistique. Ce site, manipulable à souhait, avait déjà été discrédité lorsqu’un internaute s’est amusé à leurrer ses classements en notant Brest comme la ville la plus dangereuse du monde, au-dessus de Caracas ou Kaboul.
La manipulation médiatique va plus loin : à Rennes, on laisse une habitante d’extrême droite affirmer qu’elle ne peut plus sortir de chez elle en raison de « gangs » armés de machettes et de fusils automatiques. Cette image de chaos sert un discours simpliste, qui divise la population et pousse à la radicalisation. Pour les téléspectateurs qui n’ont pas de contact direct avec ces quartiers, cette narration crée une réalité fictive, celle d’une France en guerre contre elle-même, justifiant un durcissement de la répression et un vote réactionnaire.
La prohibition, entre mensonges et impasse criminogène
L’histoire nous le montre : la prohibition ne fonctionne pas. Lorsqu’aux États-Unis, les lois puritaines des années 1920 ont interdit l’alcool, cela n’a pas stoppé sa consommation. Au contraire, cela a contribué à faire émerger des réseaux mafieux puissants, comme celui d’Al Capone. En France, la prohibition du cannabis a créé un marché noir lucratif qui attire les jeunes, échappant à tout contrôle sanitaire et social. Pire encore, elle crée un climat de peur, accentué par une politique de contrôle et d’intimidation dans les quartiers populaires.
Le modèle répressif a montré ses limites, mais certains dirigeants et médias persistent à faire croire que la seule solution serait une intensification des moyens policiers. Ces propos cachent en réalité l’impuissance de la prohibition, qui est source de criminalité. Des études montrent que dans les pays ayant choisi de légaliser le cannabis sous des formes encadrées, les bénéfices sont multiples : réduction de la criminalité, encadrement sanitaire des consommateurs, et diminution des tensions sociales.
Américanisation de la politique et logique trumpiste
Loin de la « mexicanisation » fantasmée par Retailleau, ce que l’on observe en France, c’est plutôt une américanisation de la vie politique, où le discours répressif et sensationnaliste tient lieu de stratégie. Comme le trumpisme aux États-Unis, on détourne les faits, on crée des boucs émissaires, et on encourage la peur pour asseoir un contrôle plus autoritaire. Cette logique, au lieu de résoudre les problèmes de fond, les aggrave, en divisant la population et en stigmatisant les quartiers populaires. Elle ouvre aussi la voie à une militarisation de la police et à une restriction des libertés individuelles, des dérives qui devraient nous alarmer.
Pour le CIRC : une alternative responsable
Pour le CIRC, il est temps d’abandonner cette voie répressive inefficace et de réfléchir à des solutions basées sur le pragmatisme. La légalisation et l’encadrement du cannabis offrent une réponse concrète, permettant de couper court aux réseaux mafieux, de protéger les consommateurs, et de restaurer un climat de confiance dans les quartiers. À l’heure où la prohibition révèle de plus en plus son caractère criminogène, il est essentiel de promouvoir une politique respectueuse des libertés individuelles et ancrée dans les droits fondamentaux. Loin des discours simplistes et alarmistes, la légalisation peut marquer une avancée pour la santé publique et pour une société apaisée.
En refusant de voir les faits, en refusant le dialogue, et en choisissant la répression aveugle, certains de nos responsables politiques prennent le risque de pousser la société dans une impasse dangereuse. La voie du CIRC est celle d’un encadrement raisonné, d’une légalisation assumée et d’un choix pour les libertés individuelles.
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Un mois plus tard les journalistes se remettent enfin un peu en question :
« On a su très vite qu’il y avait un décalage entre ce qui était annoncé et la réalité du terrain » explique Bernard Goulet, rédacteur en chef France 3 Nouvelle-Aquitaine – matinale spéciale « fusillade de Poitiers 1 mois après ».
Fusillade de Poitiers : un mois après la fusillade de Poitiers, l’avocate de la mère d’Anis, l’adolescent décédé dans ce drame, était l’invité de France Bleu Poitou ce mercredi.
La mère d’Anis attendait des condoléances, des excuses aussi, car c’est une victime », explique son avocate Yasmina Djoudi, mais elle n’a reçu « aucune excuse des services du ministère, et surtout pas du ministre de l’Intérieur ».
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