Publié le 14 Août 2020 | Par Marine Jeannin
Manifestation de l’héritage puritain américain, la prohibition a connu au début du XXème siècle une existence éphémère. Récit d’une décennie contradictoire et flamboyante.
Les premiers clubs de nuit fleurissent aux États-Unis dans la folle décennie 1920 et les Américains, las de la Guerre dont ils viennent d’émerger, se pressent dans les tripots de boisson où l’alcool coule à flots. Le gouvernement fédéral conservateur de Woodrow Wilson tente d’endiguer le phénomène en votant la prohibition. Laquelle, en fait de réduction de l’alcoolisme, entraîne la création de milliers de bars clandestins à travers le pays, et la montée foudroyante du crime organisé.
L’alcool prohibé dès 1846 dans le Maine
C’est au début du XIXème siècle qu’émerge aux États-Unis un mouvement de réforme engagé dans la lutte contre l’alcoolisme et pour la « tempérance », qui devient particulièrement actif dans les années 1840. Agents du culte, édiles et employeurs s’attachent à lutter contre ce fléau, qui atteindrait en 1836 pas moins de 500 000 personnes, et serait l’un des facteurs majeurs de désordre et de pauvreté.
Bientôt, le mouvement de tempérance gagne les gouvernements, et les États du Nord imposent la prohibition en cascade : le Maine en 1846, le Vermont, Rhode Island et le Minnesota en 1852, puis le Michigan l’année suivante, le Connecticut en 1854 et huit autres États en 1855. En 1916, la prohibition de l’alcool fait déjà partie de la législation de 26 États sur 49, et en janvier 1919, le 18ème amendement à la Constitution, complété l’année suivante par le Volstead Act, généralise la prohibition de l’alcool à l’ensemble de l’Union. La fabrication, l’achat et la consommation de boissons à la teneur d’alcool supérieure à un demi-degré sont désormais illégales – incluant donc même le cidre et la bière.
Puritanisme et Années folles
La période de croissance et d’insouciance des Roaring Twenties, pendant américain des Années folles, ne se prête guère à l’abstinence, et divise le pays en deux. Une partie de l’Amérique, conservatrice et attachée encore et toujours au puritanisme des Pilgrim Fathers, renoue avec le Ku Klux Klan qui connaît son âge d’Or en 1924-1925, en faisant du combat pour la prohibition l’un de ses fers de lance. Elle pousse également le cinéma vers l’autocensure, qui aboutira en 1930 à la promulgation du code Hays. Face à elle, une Amérique plus progressiste, avide de fête et de plaisirs en cette décennie dorée, qu’on retrouve dans le roman culte de Francis S. Fitzgerald, Gatsby le Magnifique.
Dans ces conditions, le gouvernement fédéral peine à faire appliquer la prohibition. La contrebande se développe sitôt la législation en vigueur, portée par les bootleggers qui mettent en place un marché noir lucratif. Car si les populations rurales pauvres en sont réduites à distiller leurs eaux-de-vie dans leurs alambics clandestins, la bourgeoisie urbaine se presse dans les speakeasies, des saloons nouvelle génération, plus discrets, difficiles d’accès et réservés à une clientèle aisée.
Le triomphe d’Al Capone
Pour les « incorruptibles » du FBI, il est alors difficile de lutter contre la contrebande dominée par des gangs : les réseaux mafieux se sont bien vite emparés de ce marché lucratif, et contrôlent désormais le trafic d’alcool, de drogue, la prostitution et les jeux d’argent. Le plus célèbre des bootlegger est sans conteste Al Capone, fils d’immigrés italiens pauvres de Brooklyn, qui connaît une ascension fulgurante à Chicago au début des années 1920. A grands renforts de fraude électorale, d’intimidation et de corruption des autorités locales, il bâtit un empire de tripots clandestins et de maisons de passe qui le rend immensément riche : en 1927, le bureau du procureur fédéral à Chicago estime à 105 millions de dollars le chiffre d’affaires de l’organisation de Capone.
Apogée du gangstérisme, le célèbre massacre de la Saint-Valentin a lieu le 14 février 1929, lorsqu’Al Capone fait massacrer six membres d’un gang rival. Le crime organisé perd du même coup le soutien de l’opinion populaire, et Al Capone finit par tomber sous le joug de la justice en 1931, pour… fraude fiscale. Quant à la prohibition, la « noble expérience », selon l’expression du président américain Herbert Hoover, prend fin en 1933 avec le XXIème amendement, qui abroge le XVIIIème.
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