L’ancien policier de la GRC, Alain Babineau, est aujourd’hui conseiller au Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), spécialisé sur les questions de profilage.
Publié le 22 Août 2020 | Par Henri Ouellette-Vezina
Les nouvelles balises sur les interpellations policières, présentées vendredi par le ministère de la Sécurité publique (MSP) du Québec, ne sont rien d’autre qu’une « carte blanche pour continuer de justifier le profilage racial » au Québec, dénonce un ancien policier.
« Il n’y a encore rien qui traite des interpellations d’automobilistes, qui sont la cause principale du profilage racial, un terme que le gouvernement ne nomme d’ailleurs jamais dans le document. On sait tous que c’est clairement l’éléphant dans la pièce », dénonce Alain Babineau, qui est aujourd’hui conseiller au Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), à Montréal.
Ex-policier de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – et retraité depuis 2016 –, M. Babineau est l’un de ceux qui avaient notamment dénoncé, l’an dernier, le racisme au sein des corps policiers canadiens. Pour lui, le fait que le gouvernement Legault n’a mené aucune consultation auprès des groupes communautaires racisés est « inacceptable ». « Après tout, ce sont eux et elles, les victimes d’interpellations sans fondement ou aléatoires. On aurait dû au moins les sonder », dit-il.
Vendredi, Québec annonçait que son Guide des pratiques policières serait modifié pour y intégrer de nouvelles recommandations. Dès lors, une interpellation devra être effectuée dans certaines situations seulement, dont « l’assistance d’une personne dans le besoin », la prévention d’un crime ou d’incivilités, la collecte d’informations ou encore l’identification d’une personne recherchée. En outre, le Ministère invite les corps policiers à adopter des directives en ce sens « tout en respectant leur réalité locale ».
« Bien qu’elle constitue une pratique essentielle en matière de sécurité publique, l’interpellation policière doit reposer sur des faits observables ou des informations qui fournissent au policier une raison pour intervenir auprès d’un citoyen dans le cadre de la mission policière », avait alors indiqué le MSP, dans un communiqué.
« Trop large »
Au-delà de la manière dont elle a été conçue, la pratique du gouvernement est aussi « excessivement large », soutient M. Babineau. « C’est un copié-collé du Service de police de la Ville de Montréal », accuse-t-il.
En juillet, le SPVM avait en effet dévoilé une nouvelle politique visant à lutter contre les « biais » qui entraînent un nombre disproportionné d’interpellations dans certaines communautés, notamment les Noirs. L’opposition officielle à l’hôtel de ville avait alors elle aussi soulevé une « défaillance majeure », à savoir que rien dans le document n’empêchait un policier d’interpeller sans raison valable un automobiliste.
« Le Ministère mentionne que la collecte d’informations devra se faire lorsqu’elles sont d’intérêt au regard de la mission policière. Là encore, c’est beaucoup trop flou. On ignore ce que ça veut vraiment dire », illustre Alain Babineau.
Son organisme, le CRARR, invite Québec à s’inspirer de l’Ontario, qui a mis sur pied un règlement provincial, dans la loi sur la police, à propos des interpellations. « Ce n’est pas parfait, mais là, au moins, on identifie clairement la problématique du profilage, avec toutes les nuances qui viennent avec », conclut l’ancien policier, qui espère que le gouvernement Legault se servira de sa nouvelle pratique pour créer une formation « plus précise » dans les prochains mois.
« Il y a quand même cette reconnaissance de la problématique des interpellations, donc ça pourrait devenir complémentaire à un vrai changement, éventuellement », illustre-t-il.