Le budget 2024 de la sécurité sociale est examiné depuis mardi 24 octobre à l’Assemblée. Un texte enrichi d’un amendement du gouvernement pour étendre l’usage du cannabis thérapeutique sous un statut « ad hoc ».
Après deux ans et demi d’expérimentation en France, le cannabis à usage médical continuera d’être prodigué après le 30 mars 2024. Le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, l’a assuré, mardi 10 octobre, face aux députés de la Commission des affaires sociales : « Il y aura bien un statut ad hoc pour le cannabis thérapeutique et aucune interruption des traitements pour ceux qui en bénéficient ». Un amendement gouvernement a été déposé en ce sens.
Ce statut spécifique, évoqué par le ministre, interroge les associations de malades. Il reste à en définir les contours et surtout les modalités d’accès. Les premières indications doivent être arrêtées dans le cadre du Projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS) 2024, examiné en ce moment à l’Assemblée.
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2.500 patients traités
En France, l’expérimentation du cannabis thérapeutique a été réalisée dans un cadre strict. Cinq pathologies (neuropathie, sclérose en plaques, épilepsie…) ont été retenues. Et seuls des patients en « impasse thérapeutique » – c’est à dire pour qui les autres traitements sont inefficaces ou source d’effets indésirables – ont pu intégrer la campagne de test. Cela représente, 2.540 personnes traitées, selon le décompte dressé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Parmi elles, Valérie (57 ans). Elle habite en région bordelaise et souffre de neuropathie, des lésions nerveuses très douloureuses pour lesquelles seul le cannabis fait effet : « Mes douleurs ont diminué drastiquement et j’ai donc pu reprendre certaines activités comme la marche et le jardinage ». Valérie note aussi des bienfaits dans sa qualité de vie : moins d’anxiété et un sommeil plus profond.
Des observations qui se retrouvent dans le rapport d’évaluation de l’ANSM, remis en septembre au gouvernement. Dans le cas d’une neuropathie, 79% des patients se plaignaient de douleurs fortes voire insupportables avant de prendre du cannabis. Après trois mois de traitement, cette part tombe à 29%. Pour la moitié du groupe, la douleur est dévenue modérée.
Des réticences
Nicolas Authier, médecin-psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand, voit dans le cannabis médical une « alternative » à explorer. Dans le cadre de l’expérimentation, il a suivi une trentaine de patients. « Certains ont arrêté en cours de route, en général à cause d’effets indésirables », explique-t-il, mais il l’assure : « Aucun cas d’abus ou de dépendance n’a été relevé ». Une affirmation confirmée par un rapport de pharmacovigilance publié au printemps.
Malgré ces remontées qualifiées de « concluantes » et la légalisation du cannabis thérapeutique dans 22 des 27 États-membre de l’Union européenne, plusieurs médecins mettent en doute la pertinence et l’efficacité du produit à grande échelle. Pour Marc Lévêque, neurochirurgien et médecin de la douleur à Marseille : « Les preuves sont encore modestes, notamment sur les effets psychiatriques ». Il n’exclue pas une utilisé pour un nombre réduit de patients mais redoute des dérives en cas de généralisation.
Un entre-deux
La piste d’une généralisation du cannabis médical est à ce jour écartée. Avec le statut « ad hoc », le gouvernement opte pour un entre-deux entre l’expérimentation et la légalisation. Pour Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser (Association pour aider et informer les syringomyélies européens réunis), il s’agit d’une « tergiversation ». « L’expérimentation a apporté la preuve des effets du cannabis thérapeutique, désormais j’ai peur que les personnes qui n’ont pas pu en bénéficier cherchent à s’en procurer, notamment par l’auto-culture », soupire-t-elle.
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