Voté en 2019, l’usage thérapeutique doit être expérimenté auprès de 3 000 patients français à partir du mois de mars. La plante, qui souffre d’une mauvaise image dans l’Hexagone, a été récemment sortie par l’ONU de sa liste des stupéfiants les plus dangereux.
par Charles Delouche-Bertolasi
L’Internationale du cannabis attend que le feu passe au vert. Petit à petit, les défenseurs de son volet médical et les patients peuvent croire à des jours meilleurs. La fin d’année a été marquée par d’importants revirements favorables aux partisans de sa légalisation. Début décembre, un mois après que la Cour de justice européenne a rejeté l’interdiction par la France du cannabidiol (CBD), molécule présente dans le chanvre, la Commission des stupéfiants des Nations unies (CND) a déclassifié le cannabis du tableau IV de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. La plante et sa résine y côtoyaient jusqu’alors l’héroïne ou d’autres opioïdes mortels. Avec ce vote très serré (27 pour, 25 contre, 1 abstention), la CND a ouvert la voie à la reconnaissance du potentiel médical de la plante.
Cette décision fait suite à une série de recommandations de l’Organisation mondiale de la santé qui demandaient le retrait du cannabis et de ses dérivés dudit tableau. Son utilisation à des fins non scientifiques ni médicales demeure toutefois illégale. Le cannabis reste affilié au tableau I des stupéfiants soumis à contrôle.
Pionnier
Dans le monde, une trentaine de pays autorisent l’usage médical d’une plante tantôt vénérée tantôt diabolisée, dont les premières cultures remontent à 8 000 ans avant J.C. en Asie. Ses vertus thérapeutiques sont ainsi vantées dans les écrits de l’écrivain romain Pline l’Ancien. Présent dans la pharmacopée américaine dès 1850 et française dès 1866, le cannabis médical subit un violent coup d’arrêt en 1937 avec le Marijuana Tax Act adopté par les Etats-Unis, et la plante est supprimée peu après de la pharmacopée. La Convention unique de l’ONU sur les stupéfiants organisée en 1961 déclare illégal le cannabis, au même titre que l’opium et la coca. En France, la loi de 1970 punit toujours son usage d’un an maximal d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 3 750 euros. Mais le combat pour son aspect médical avance. Outre-Atlantique, la Californie autorise le cannabis médical en 1996. Et depuis, la toile s’agrandit. En Colombie, il est légalisé depuis 2016 et le pays s’est lancé massivement dans la production. Premier pays africain à l’avoir légalisé en 2017, le Lesotho se rêve en pionnier du cannabis thérapeutique.
En Europe, plus d’une vingtaine de pays l’ont déjà autorisé. Dès 2003, les Pays-Bas, fer de lance du cannabis dans l’Union européenne, ont permis aux personnes atteintes de la sclérose en plaques, du cancer ou encore du sida, ainsi qu’à celles souffrant de douleurs chroniques, de se procurer via une ordonnance médicale des médicaments à base de cannabis. En 2011 et en 2013, la Suisse et l’Italie lui emboîtent le pas. En Allemagne, il faut attendre 2017 pour que les patients atteints de douleurs résistant aux autres traitements puissent se voir prescrire un traitement à base de fleurs de cannabis séchées, d’autres extraits ou des médicaments. Enfin, le Royaume-Uni a approuvé l’usage médical en 2018, faisant du pays l’un des derniers à l’avoir autorisé.
Les différentes législations sont quasiment aussi nombreuses que le nombre de pays où le cannabis médical est autorisé. Les moyens de se procurer les médicaments varient selon les pays et les maladies concernées ne sont pas toujours les mêmes. Pascal Douek, médecin atteint de la sclérose en plaques depuis neuf ans, affirme que les prescriptions ont été une des premières barrières rencontrées par les pays dans la mise en place des traitements. «Souvent, il n’y a pas eu de formation des médecins et ces derniers ont eu des réticences à prescrire du cannabis. Ça a été le cas au Canada ou encore aux Pays-Bas, explique l’auteur du Cannabis médical, une nouvelle chance (Solar, septembre 2020). Ces pays se sont retrouvés avec des prévisions de vente de cannabis qui n’ont jamais été atteintes, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de prescription. Au Royaume-Uni, obtenir du cannabis médical est long et complexe. Pour des parents d’enfants atteints de formes rares d’épilepsie, il y a urgence. Avec parfois jusqu’à plusieurs crises quotidiennes, le cannabis est la dernière option pour ces enfants.»
Amende forfaitaire
Dans ce domaine, la France accuse un retard conséquent, lié à une position alambiquée. Le cannabis médical y est victime de son nom. Plus gros consommateur européen de shit ou d’herbe, l’Hexagone est aussi le pays avec la législation la plus répressive. Alors qu’une expérimentation de l’usage médical du cannabis votée en octobre 2019 par l’Assemblée nationale doit voir le jour courant mars, le contexte reste défavorable à la plante. En septembre 2020, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait déclaré au sujet du cannabis que «la drogue, c’est de la merde». Un mois plus tard, Marlène Schiappa avait affirmé sur RTL que le cannabis thérapeutique «menait à la consommation de drogues dures», avant que son entourage évoque une regrettable méprise. «Il y a une peur, chez les politiques, que l’autorisation du cannabis médical soit une porte ouverte vers la légalisation du cannabis [récréatif]. Il ne faut pas mélanger les genres», rappelle Pascal Douek.
Depuis, dans la rue, la chasse au consommateur est ouverte. Beauvau a récemment incité les habitants à signaler les points de deal et une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros a été instaurée depuis septembre pour les usagers de drogue. Sans faire le distingo entre amateurs de kif et patients, dont certains sont forcés de s’approvisionner sur le marché noir. «Certains vont à l’étranger acheter du cannabis qui est plus ou moins du cannabis médical. En Suisse, il y a certaines variétés qu’on peut acheter légalement. D’autres vont aux Pays-Bas dans certaines pharmacies, munis d’une ordonnance française. D’autres encore ont identifié des variétés qui les soulagent et font de l’autoculture, explique le médecin. Il y a aussi ceux qui achètent du cannabis dans la rue, mais ce sont toujours des formes très fortes en THC car elles ont été sélectionnées pour leurs effets psychoactifs.»
La phase de test française devrait concerner 3 000 patients pour une durée de deux ans, alors que les scientifiques estiment à près de 700 000 les patients français éligibles aux traitements à base de cannabis. Cinq maladies ont été retenues pour le projet : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes, certains symptômes rebelles en oncologie, les situations palliatives et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central.
Source : Libération.fr