Cinq trafiquants de drogue ont été mis en examen mi-avril pour un triple assassinat « avec un degré de barbarie jamais atteint ». Les corps de trois hommes avaient été retrouvés carbonisés dans deux voitures à L’Estaque quatre mois plus tôt.
Publié le 06 mai 2021
Assis dans une Twingo stationnée dans une cité marseillaise mi-mars, les deux passagers évoquent la manière dont ils ont découpé le corps d’un homme dans un box de parking, au tout début du mois de janvier. Ignorant que le véhicule a été sonorisé par la police judiciaire, l’un avoue que ça ne l’a pas traumatisé : « Je suis choqué de moi frérot, ça m’a rien fait, genre je rigolais et tout. Un humain normal, il ne rigole pas. » Ils s’amusent même à imaginer qu’ils pourraient ne pas s’empêcher d’en rire devant la cour d’assises. Dans une autre captation, on entend le second dire qu’il est resté quatre jours auprès du corps : « J’ai dormi une semaine avec un macchabée, j’en avais ras-le-cul, oh, frérot, j’ai une femme. »
Deux mois et demi plus tôt, le 6 janvier, au bout d’un chemin de terre, à L’Estaque, les policiers découvrent dans le coffre d’un véhicule qui vient d’être incendié le corps d’un homme tué de trois balles dans la tête. La victime a été entièrement démembrée. Huit jours auparavant, à 500 mètres de là, dans un tunnel de service passant sous l’autoroute A55 qui relie Marseille à Martigues, deux autres cadavres avaient été trouvés, là encore tués par balles avant qu’il ne soit mis feu au véhicule.
Un lien est immédiatement établi entre ces deux épisodes macabres car, le 29 décembre 2020, les enquêteurs ont identifié la scène de crime, un quartier résidentiel de Châteauneuf-les-Martigues où les riverains avaient entendu des tirs au milieu de la nuit. Trois étuis de 9 mm sont ramassés par terre et les ADN prélevés sur les larges taches de sang sur la chaussée établissent que les trois victimes ont été tuées là. Trois trafiquants de drogue âgés de 22 à 24 ans.
Différend financier lié aux stupéfiants
Enième règlement de comptes entre trafiquants de stupéfiants suivi de ce que les policiers appellent un « barbecue », comme Marseille en a déjà connu tant… Mais cette fois-ci, la violence a monté d’un cran. « On est à un degré jamais atteint de barbarie », s’inquiète-t-on au palais de justice, où l’on juge les faits « très préoccupants ».
Ce nouveau règlement de comptes élucidé en quatre mois tambour battant traduit-il, comme certains le redoutent, une « dérive à la mexicaine », en référence à la barbarie dont font montre les cartels, ou restera-t-il un fait isolé ? Quel message voulait-on envoyer en mutilant ainsi le corps ? A l’« Evêché », l’hôtel de police de Marseille, on relativise : « Le démembrement est très inhabituel mais on ne peut pas dire que cela augure d’un nouveau mode opératoire. » Au même titre que le « barbecue », cela signe, aux yeux des policiers, « une volonté haineuse exacerbée ».
« On est à un degré jamais atteint de barbarie », s’inquiète-t-on au palais de justice, où l’on juge les faits « très préoccupants ».
Avant même l’identification des corps par les enquêteurs, la rumeur avait couru dans certains quartiers, annonçant le nom des jeunes victimes. « Tout Marseille était au courant de ça », racontera en garde à vue l’un des mis en cause. Selon plusieurs témoins, les victimes se savaient en sursis. La veille de leur assassinat, elles revenaient d’Espagne. « Je pense qu’il fuyait sa mort vu qu’il avait été prévenu. Il savait qu’il allait mourir, que l’étau se resserrait sur lui », dit un proche du chef présumé du trio. Quatre jours avant d’être tué, dans une vidéo Snapchat, il exhibait même une arme en guise de provocation à ceux qui le recherchaient : « Tu dis que je vais mourir à moi, bande d’enculés ! »
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A deux reprises, en juin et en août 2020, son lieutenant avait échappé à une tentative d’assassinat, sur fond de différend financier lié aux stupéfiants. Vrai ou faux, ils ne se cachaient pas d’avoir commis un règlement de comptes. Une balise de géolocalisation avait été placée par la police sur le véhicule dans lequel ils circulaient, dans le cadre d’une enquête sur un meurtre. Quelques heures avant d’être exécuté, le trio était passé dans une villa des quartiers sud de Marseille qu’ils avaient « réquisitionnée » pour en faire leur QG, où ils avaient pris l’habitude de conditionner la cocaïne destinée à une cité voisine, leur fief. Un réseau de revente récemment acquis, alors que deux mois plus tôt un règlement de comptes avait eu lieu, provoquant la mort du précédent gérant de ce « plan stups ».
Géolocalisation des véhicules
On parlait du chef de ce trio comme d’un « Pablo Escobar de Marseille ». « Il n’avait peur de rien, il n’avait pas peur de s’en prendre aux réseaux des autres, et à cause de cela il était mal-aimé. Tout le monde voulait qu’il soit mort », dit un proche. Dans la Twingo, les auteurs présumés se vanteront plus tard d’y être, eux, parvenu alors que « personne arrivait à les tuer ».
Ils sont cinq à avoir été mis en examen et placés en détention provisoire mi-avril pour ce triple assassinat en bande organisée, trois autres dont deux compagnes se voient reprocher une association de malfaiteurs. Victimes et auteurs présumés semblaient bien se connaître, formant « une même équipe », selon un enquêteur.
Selon les données de géolocalisation de leurs véhicules, les victimes et les auteurs présumés ont d’ailleurs passé ensemble une partie de la soirée du 29 décembre et se sont rendus en convoi à Châteauneuf-les-Martigues, laissant penser que personne ne redoutait ce rendez-vous. Deux d’entre elles avaient connu les bancs du même collège et partageaient régulièrement un déjeuner au McDo. Selon une version policière, les trafiquants auraient été éliminés car ils devenaient « incontrôlables », déstabilisant les équilibres fragiles au sein de ce vaste marché marseillais de la drogue, qui gangrène des arrondissements entiers de la ville.
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Ce triple assassinat aurait donc pu être commandité à un niveau supérieur, depuis l’étranger, avancent même certains. Ce sera l’une des tâches du juge d’instruction Antoine Derieux de tenter de le déterminer.
Confrontés en garde à vue à un travail policier qui a reconstitué, minute par minute, le scénario de ces meurtres grâce à la géolocalisation des véhicules des victimes et des auteurs, doublée des vidéos de surveillance urbaines, les auteurs présumés ont gardé le silence. Le propriétaire de la Twingo, accablé par les sonorisations qui ont été captées – on l’entend se surnommer lui-même « le plus gros boucher qui existe » – , dira juste aux enquêteurs qui le questionnent : « Ce n’est pas parce que je dis des
choses que je les ai faites. Entre dire et faire, c’est pas la même chose. »
Quant à celui qui, dans la Twingo, prétendait ne pas avoir été choqué par ce démembrement, il a voulu convaincre les enquêteurs qu’il fanfaronnait par peur de son interlocuteur. « Je me suis retrouvé dans un garage souterrain, et c’est là que j’ai vu un mec mort allongé par terre. J’ai paniqué, je me suis retourné face au mur et je n’ai plus bougé. C’est un truc qui restera gravé dans ma tête. »
Luc Leroux (Marseille, correspondant)