Salah Amokrane, militant associatif, responsable de l’association Tactikollectif basée à Toulouse. JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
Publié le 28 Août 2020 | Par Nadir Dendoune
Depuis quelques semaines, les quartiers populaires de Toulouse sont le théâtre d’événements tragiques. Lundi 24 août, un jeune homme de 17 ans, blessé par balles, a succombé à ses blessures. Le 10 août, lors d’une fusillade, un homme a été tué et deux autres personnes ont été blessées. Mi-juillet, un homme d’une vingtaine d’années a été abattu en pleine nuit…
Une situation qui préoccupe Salah Amokrane, militant associatif, responsable de l’association Tactikollectif basée à Toulouse. Ce dernier appelle de nouveau à la légalisation des drogues douces « pour éviter de nouvelles tueries ».
LCDL : En 2017, vous disiez déjà qu’il fallait légaliser les drogues douces…
Salah Amokrane : Oui et je le redis aujourd’hui. La politique prohibitionniste, répressive et punitive menée depuis toujours dans notre pays pour réguler la consommation de drogue est un échec total. Et pourtant, on continue. 3 ans plus tard, nous assistons à de nouvelles tueries à Toulouse mais aussi dans d’autres villes françaises. La légalisation du cannabis sauvera la vie de nos jeunes, elle diminuera les tensions et les violences dans les quartiers populaires.
Le trafic de drogue crée une zone de danger pour tous les habitants. Il tue nos quartiers lentement mais sûrement et les morts qui font la une des journaux ne sont que la partie immergée de l’Iceberg.
Dans ces quartiers populaires ou bon nombre de ceux qui y vivent sont des précaires, encore plus dans le moment de crise sociale et sanitaire que nous vivons, le trafic de drogue endommage les relations sociales et les liens de solidarités entre habitants. Non réglementé, il laisse place à la loi du plus fort, aux menaces, à la violence, à l’engrenage, aux balles perdues et à la peur.
Trouvez-vous normal que nous soyons obligés de dire à nos enfants de ne pas emprunter un chemin au cœur du quartier pour rentrer à la maison, alors que c’est le chemin le plus naturel, le plus évident ?
Il y a également selon vous d’autres bénéfices à légaliser les drogues douces…
Oui. Avec la rentrée fiscale que générerait la vente des drogues douces légale, on pourrait mettre en place des campagnes de prévention.
Légaliser les drogues douces permettrait aussi de désengorger les palais de justice et les prisons : énormément de personnes sont détenues dans notre pays pour des affaires liées au trafic de stupéfiants. On pourrait alors par exemple réorienter les effectifs de police sur la criminalité à col blanc…
Vous évoquez également le sentiment d’abandon que ressentent les habitants des quartiers populaires de Toulouse…
Effectivement. Au-delà de l’émotion ou de la colère légitime que suscitent ces événements tragiques, ce qui accentue cette violence symbolique c’est le sentiment d’abandon que ressentent les habitants.
Comment comprendre que devant de telles situations qui ne datent pas d’hier, personne parmi les responsables politiques ne s’adresse à eux ? D’abord pour les soutenir moralement, et les assurer qu’ils sont des Toulousains au même titre que les autres. Ensuite pour envisager des réponses aux problèmes.
La question centrale d’une autre politique publique des drogues douces, avec la réflexion à propos de la légalisation en est une, mais ce n’est pas la seule. La réponse doit se construire au quotidien, pierre après pierre dans un cadre ou chacun prend ses responsabilités, Etat et collectivités
Les habitants actifs, les acteurs sociaux prennent les leurs autant qu’ils peuvent, mais aujourd’hui le découragement est bien là. La situation est grave. Nous attendons encore que la réponse des pouvoirs publics soit à la hauteur, globale, qu’une politique ambitieuse, bienveillante et de long terme soit à l’œuvre, nous attendons tout simplement d’être considéré-e-s comme des citoyen-e-s ordinaires. Le silence est une violence de plus, comme si ceux et celles qui vivent dans ces quartiers n’existaient pas.