Après de longs mois d’attente pour les patients et les défenseurs du projet, le ministère de la Santé a autorisé ce matin par décret l’expérimentation du cannabis médical en France.
par Charles Delouche-Bertolasi
Feu vert pour le test du cannabis médical grandeur nature. Le décret tant attendu a été publié ce matin par le ministère de la Santé. Il valide le lancement de l’expérimentation de l’usage du cannabis thérapeutique prévue pour deux ans.
Depuis son lancement en juin 2019, le projet a connu de multiples retards. Car depuis sa validation par l’Agence nationale du médicament (ANSM) et son autorisation en octobre 2019 par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de budget de la sécurité sociale, les patients ont du prendre leurs maux en patience. En juin dernier, invoquant l’épidémie de Covid-19, l’ANSM repoussait l’échéance et annonçait le report de son lancement, initialement prévu pour septembre 2020, à janvier 2021.
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« La publication de ce décret au journal officiel est une bonne nouvelle nécessaire, mais pas suffisante», pointe néanmoins Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser S&C et atteinte de syringomyélie, une maladie de la moelle épinière. A 66 ans, elle souffre de douleurs neuropathiques sévères résistantes à tout traitement, de spasticités douloureuses dues à des liaisons médullaires, et consomme du cannabis en décoction dans du lait pour calmer ses douleurs. «Le temps entre la validation de l’Assemblée nationale et la publication du décret a été particulièrement long. Des choses votées lors du même PLFSS sont passées bien avant notre sujet, souligne-t-elle. Cela montre qu’il y a une vraie méconnaissance autour du cannabis en général et de son usage thérapeutique en particulier. »
« Stigmatisation toujours plus forte »
Le 14 septembre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a rappelé être contre la légalisation du cannabis et déclaré « la drogue, c’est de la merde ». Moins d’un mois plus tard, lundi sur le plateau de LCP, c’est Marlène Schiappa qui allait jusqu’à se dire opposé au cannabis thérapeutique, indiquant qu’il menait à la « consommation de drogues plus dures» et finançait «les réseaux de traite des êtres humains et les activités terroristes ». Tollé chez addictologues et chez les défenseurs du cannabis médical qui parsèment les rangs de la majorité parlementaire. Rétropédalage le lendemain, l’entourage de la ministre évoquant une regrettable méprise. « Le décret est publié dans un contexte difficile pour les malades en particulier, victimes d’une stigmatisation toujours plus forte et d’un discours gouvernemental offensif contre le cannabis en général » a souligné dans un communiqué le collectif Alternative pour le cannabis à visée thérapeutique (ACT).
Il ne s’agit pourtant ici pas d’herbe à fumer, mais d’huiles, gélules ou fleurs séchées à vaporiser qui vont concerner près de 3 000 patients traités et suivis, retenus pour participer à l’expérimentation. « Cela va permettre à des personnes qui souffrent de pouvoir vivre dans de meilleures conditions», estime Nicolas Authier, médecin psychiatre spécialisé en pharmacologie, addictologie et président du Comité scientifique temporaire chargé du cannabis à visée thérapeutique mis en place par l’Agence nationale du médicament. Interrogé par Libération, il salue «une étape cruciale qui rend possible sur le plan légal le fait même d’expérimenter le cannabis en France ».
Cinq maladies ont été retenues pour le projet : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie pharmacorésistantes, certains symptômes rebelles en oncologie, les situations palliatives et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central.
« Une excellente nouvelle pour les patients »
Il revient désormais à la Direction générale de la santé (DGS) de délivrer les arrêtés qui doivent préciser le cadre du projet, notamment établir le cahier des charges autorisant le lancement des appels d’offres cruciaux pour sélectionner les fournisseurs étrangers et leurs produits chargés en cannabis. L’ANSM a jusqu’au 31 mars 2021 pour remplir cette mission et lancer la machine. « Il faut continuer de former un maximum de médecins pour qu’avant le mois de mars, un millier d’entre eux puisse prescrire du cannabis sans perdre de temps », précise Nicolas Authier, qui rappelle qu’à présent, « les acteurs du monde économique français vont pouvoir enfin se faire une idée autour des attentes envers les médicaments proposés. Et accompagner le développement potentiel de filières agronomiques de santé françaises destinées à la production des médicaments ».
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Sur Twitter, Jean-Baptiste Moreau, le député paysan de la Creuse et rapporteur LREM de la mission d’information parlementaire sur la réglementation et impact des différents usages du cannabis, s’est félicité de cette étape majeure et a salué « une excellente nouvelle pour les patients ». Il a annoncé son souhait de porter avec la mission cannabis un amendement dans le prochain PLFSS pour doter l’expérimentation « d’un véritable budget et la rendre plus ambitieuse ». A l’inverse du projet pourtant validé par l’Assemblée, l’expérimentation n’a reçu aucune dotation budgétaire propre. Pour le député, il faut battre le fer tant qu’il est chaud : « J’ai pleinement confiance en Olivier Véran pour que le décret sur l’exploitation de la fleur de chanvre paraisse dans les jours qui viennent », a-t-il poursuivi. La production de cannabis étant interdite en France, les agriculteurs n’ont pour le moment pas le droit d’utiliser sa fleur, partie riche en composés actif et nécessaire dans l’élaboration des médicaments.
Source : Liberation.fr