Le Progrès (Lyon)
Rhône, vendredi 5 mars 2021
Propos recueillis par Annie DEMONTFAUCON
Thibaut Fontaine, commissaire divisionnaire, chef de la division criminelle à la police judiciaire de Lyon s’exprime sur la Cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) et la synergie entre les enquêteurs pour lutter contre les trafics.
Comment l’Ofast, l’office anti-stupéfiants (1) mis en place l’an dernier est-il décliné localement ?
« L’antenne lyonnaise de l’Ofast compte quatre groupes opérationnels ainsi que la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Ces groupes d’enquête ont désormais une compétence nationale même si leur zone de prédilection reste celle de la DZPJ (2). À Lyon, la Cross qui compte également dans ses rangs un douanier et une gendarme a vraiment pris forme en mars 2019 avec un protocole signé en octobre 2020. L’objectif de la Cross est de recueillir le renseignement relatif aux stupéfiants auprès des forces de sécurité puis des partenaires (police municipale, bailleurs, transporteurs…). On a une boîte mail spécifique qui leur est destinée et qui permet de faire remonter l’information jusqu’à nous ».
L’implication et la sollicitation de la population sont mises en avant avec la création d’une plateforme de signalement annoncée pour fin 2021. Cela vous sera utile ?
« L’idée est de la calquer sur le modèle de la plateforme Pharos (3). L’afflux d’informations est toujours bénéfique mais Pharos permet déjà de détecter pas mal de choses.
Cela dit, à l’heure actuelle, on est sur un nombre de partenaires très conséquents : tous les services de police et gendarmerie du Rhône ainsi que les partenaires institutionnels. Toutes les deux semaines, se tient une réunion avec les services de police pour savoir qui va traiter (commissariat, Glses (4), Sûreté, PJ…) l’information reçue ».
Quel est le changement ?
« Avant, chacun avait ses informateurs et des remontées du terrain qui n’étaient pas partagées. On échangeait de façon informelle. C’est un outil très profitable. La Cross met de la cohérence dans le dispositif de façon à travailler sur le bas et le haut du spectre. Depuis le mois de janvier, il y a des opérations très régulières de harcèlement et de démantèlement des points de deal en zone police et gendarmerie.
L’Ofast centralise pour toute la police nationale les schémas et les stratégies de développement. Il élabore la doctrine et la décline dans les services par l’intermédiaire des antennes régionales. Il y a une volonté manifeste forte d’intensifier la lutte.
Depuis trois ans, a été mis en place un fichier d’objectifs (cibles) afin d’éviter que deux enquêteurs travaillent sur la même personne ou le même lieu de deal. Le temps de la guerre des polices est terminé !
En matière de lutte anti-stups, vous êtes passé à la vitesse supérieure ?
Oui, on a nettement progressé sur le recueil du renseignement et l’articulation entre les services. La Cross est un facilitateur, une gare de triage, un endroit où on se rencontre et où on se parle. Cette instance permet de structurer l’action des services de l’État dans la lutte contre le trafic de stups. Le gros de notre travail est axé sur les réseaux issus des cités, réseaux qui se sont professionnalisés ».
Quel constat faites-vous sur la situation dans les cités ?
« C’est un phénomène qu’on a du mal à endiguer. Le trafic a pris de l’ampleur. On est sur de la criminalité organisée qui a des moyens logistiques, financiers, technologiques extrêmement importants.
À Lyon, l’emprise territoriale n’est pas aussi conflictuelle qu’ailleurs, mais la crise sanitaire a contribué à tendre les relations au sein du milieu criminel. Lors du premier confinement, on a constaté une grande tension qui a entraîné des rivalités importantes avec des échanges de coups de feu. Ce sont des luttes de territoires pour récupérer la clientèle des points de deal hautement rentables. Aujourd’hui, les trafiquants ont réussi à s’adapter à la nouvelle donne (couvre-feu) ».
« Les stups, c’est un peu le tonneau des Danaïdes »
C’est compliqué de lutter contre eux ?
« Les stups, c’est un peu le tonneau des Danaïdes. Cela ne veut pas dire qu’on est inefficace mais ils se renouvellent en permanence parce qu’il y a une demande. Aujourd’hui, le marché est plus segmenté, compartimenté, cloisonné. Quand on atteint une partie du trafic, on n’atteint pas l’autre. Exemple : le trafiquant d’ici ne connaît pas le chauffeur qui le livre. La lutte pour nous est devenue plus complexe ».
L’Ofast marque des points ?
« Oui, fin 2020, on a fait une saisie de 2,3 tonnes de résine de cannabis à La Verpillière (Isère). En décembre, on a démantelé un réseau qui s’étalait de Rhône-Alpes à l’Hérault et saisit 225 kg. En février, un convoi a été intercepté à Sérézin avec 376 kg avec à chaque fois plusieurs interpellations ».
Une brigade spécialisée de terrain (BST) à la recherche de stupéfiants dans une allée d’immeuble. Photo d’archives Progrès /Stéphane GUIOCHON
Un guetteur peut gagner 50 à 100 € par jour et environ 3 000 € par mois. Ici, dans un hall de Vaulx-en-Velin Photo Progrès /Stéphane GUIOCHON
Thibaut Fontaine est chef de la division criminelle à la DZPJ de Lyon. Photo Progrès /Annie DEMONTFAUCON
(1) Ofast : l’office anti-stupéfiants a remplacé l’Octris, l’Office central pour la répression du trafic illégal de stupéfiants.
(2) DZPJ : direction zonale de la police judiciaire.
(3) Plateforme qui permet de signaler un contenu suspect ou illicite sur Internet.
(4) Glses : groupes de lutte contre les stups et l’économie souterraine.
Source : Leprogrès.fr