Publié le 1 Septembre 2020 | Par Mailis Rey-Bethbeder
L’amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour usage de stupéfiants entre en application mardi. L’addictologue Jean-Pierre Couteron regrette que cette mesure ne permette pas de lutter efficacement contre l’addiction.
L’amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour usage de stupéfiants entre en application mardi 1er septembre sur tout le territoire français, après des premiers tests à Rennes, Reims et Créteil.
L’addictologue Jean-Pierre Couteron est porte-parole de la Férération Addiction, après en avoir été président de 2006 à 2018. Parallèlement, il enseigne au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et poursuit son activité clinique au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et à la Consultation jeunes consommateurs (CJC) de l’association Oppelia, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Il s’est aussi prononcé pour l’ouverture des communautés thérapeutiques – une approche participative et en groupes de la maladie mentale à long terme, des troubles de la personnalité et de la toxicomanie (il en existe aujourd’hui une dizaine en France).
Si le psychologue clinicien reconnaît qu’il ne faut pas laisser les drogues « en marché libre comme des bouteilles d’eau », il regrette que l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) ne prenne « pas du tout en compte ce qui a motivé l’usage » de drogue du consommateur.
Est-ce réalisable, en termes de moyens, de sanctionner systématiquement les consommateurs de drogue pris en flagrant délit ?
Concernant la simplification de la procédure, je pense que c’est faisable. Les forces de l’ordre ont les moyens d’intervenir. Quand on a voulu se débarrasser des amendes et des contraventions au format papier, on les a dotées d’appareils électroniques et cela s’est fait. Et trouver des personnes à qui mettre une amende ne devrait pas poser de problème majeur.
Sanctionner les consommateurs par une amende suffit-il à les dissuader de ne pas recommencer ?
Une mesure peut être utile pour certains et complètement inadaptée pour d’autres. Il ne faut jamais complètement noircir notre société, il y a encore des jeunes pour lesquels être convoqués au commissariat fait quelque chose. Mais l’amende est une mesure qui relève de la pénalisation et de la sanction et, encore une fois, il n’y a rien du côté de la prévention. On est encore en train de taper sur le même clou en s’étonnant que ça ne marche pas.
Cela a été conçu pour simplifier le travail des policiers et des magistrats et désengorger les tribunaux. En termes de simplification de la procédure policière et judiciaire et de sanction de l’usage et des usagers, je reconnais que les forces de l’ordre vont probablement fournir des chiffres montrant l’efficacité du dispositif. En termes de lutte contre le trafic, je me demande en quoi cela les aidera, et enfin, en termes de lutte contre la propagation des addictions, permettez-moi d’être complètement sûr que cela ne servira à rien.
Une amende de 200 euros ne pousse-t-elle pas les personnes dépendantes dans une plus grande détresse ?
L’amende ne s’appliquera pas aux mineurs, qui sont pourtant les plus en danger. La doctrine est de dire « on va à la fois simplifier la procédure et mieux lutter contre le trafic (…). Cette fois, on va aller embêter l’usager ». Mais ce n’est pas nouveau, à chaque fois on y revient. Il y a eu Robert Badinter, en 1984, qui avait fait une circulaire sur l’usager revendeur ; il devait être traité un peu plus sévèrement que le simple usager.
A un certain niveau, il faut embêter le petit usager. Ça, c’est le côté inégalité financière. Tout le monde n’a pas les mêmes moyens, mais il y a toujours des gens qui vont vous répondre « s’ils ont de l’argent pour acheter leurs doses, ils doivent bien avoir de l’argent pour payer les amendes ». Le côté automatique de cette amende va créer un certain nombre de disparités, un certain nombre de stratégies de contournement. Par exemple, on va envoyer plutôt un certain type de personnes acheter parce qu’on sait que ce sera plus compliqué de lui appliquer l’amende plutôt qu’un autre.
Quels sont les différents types d’usagers, et comment peuvent-ils réagir à l’amende ?
Cette amende ne prend pas du tout en compte ce qui a motivé l’usage de la drogue. D’abord, il y a un groupe qui utilise le cannabis pour des problèmes d’automédication, ce sont tous ceux qui attendent que le cannabis thérapeutique soit mis en place. Ces personnes le font parce qu’elles ont des scléroses, des problèmes qui peuvent être soulagés par le cannabis. On peut avoir l’impression que ce ne sont pas eux qui font la queue dans les « fours » [les points de vente], mais eux aussi participent à cet achat. Eux aussi pourront relever de l’amende, et c’est dommage.
Il y a un deuxième groupe, qui sont les mineurs, a priori l’amende ne les concerne pas.
Les majeurs constituent le troisième groupe. Certains ont un usage raisonnable. C’est un usage qui peut heurter en termes de santé publique, mais on peut très bien acheter une bouteille d’alcool en magasin. C’est mauvais pour la santé, mais dès lors qu’on n’a pas consommé une certaine quantité, on n’a pas de problème.
Et enfin il y a un groupe de personnes qui ont des usages hors contrôle, qui surconsomment.
Ce sont des situations très différentes. Il y en a qui mériteraient plutôt des réponses sociales ou éducatives, d’autres des accompagnements psychothérapeutiques spécialisés, d’autres des sanctions pénales… Avec l’amende, tout cela va être écrasé. Il y a toujours des tours de passe-passe. La vente va se transformer, il y aura certainement des livraisons, des rondes en scooter… Ce sera plus mobile. Cette uniformisation de la réponse permet de simplifier le travail des policiers, mais va se traduire par une perte de la spécificité de ce qui se cache derrière cette consommation de drogue, pour comprendre ce qui la motive.
Vous préconisez de combiner prévention et sanction ?
Les pays où cela marche, ce sont les pays où on fait un peu de tout. En France, on a du mal à le faire. Bien sûr, il faut des sanctions, des interdits, ce n’est pas scandaleux. Ce sont des substances psychoactives, on ne peut pas les laisser en marché libre comme des bouteilles d’eau. Mais c’est parfois plus efficace de dire « on ne vous interdit pas complètement de le faire mais il y a des règles à respecter ».
Les politiques qui marchent sont celles de régulation : elles prévoient un versant éducation, un versant sanction, un versant intervention précoce – se faire aider, se faire soigner… Une palette de moyens qui associe quatre ou cinq domaines : l’information sur les dangers, les programmes de prévention, la formation de la personne et de son entourage, l’accompagnement des familles, l’accès rapide à des soins et des aides quand on en a besoin (intervention précoce) et puis des sanctions, des limites, des règles pour contrôler l’accessibilité et la qualité des produits.
Avec la volonté d’agir, on n’éradique pas totalement la consommation, mais on a des niveaux beaucoup plus bas. C’est quelque chose qui a du mal à s’imposer. Il y a des tentatives, il y a eu des choses de faites. Il y a une commission qui se réunit en ce moment, paradoxalement. J’y siégerai la semaine prochaine. Pour l’instant, on reste sur une politique qui dit d’un côté « on va sanctionner » et de l’autre côté « non, on va soigner », et avec des revendications complètement utopiques en face qui disent « laissez-nous faire ce qu’on veut ». C’est logique que l’Etat donne des règles. Il faut trouver un juste milieu, mais en ce moment, en France, c’est difficile.