Le fumeur de cannabis c’est tout le monde, n’importe qui n’importe où. • © MaxPPP / Olivier Berg
Publié le 3 Septembre 2020 | Par Corinne Carrière
Amende salée de 200 euros pour les consommateurs de drogue pris en flagrant délit, une politique répressive sans effet pour de nombreuses associations. Explications.
« On a perdu la guerre contre la drogue, depuis longtemps ». A Toulouse le président de la CREAI ORS Occitanie, Guillaume Sudérie, parle d’une mesure de dépénalisation inutile et prône la légalisation. Entretien.
« Il faut être pragmatique, le problème avec les drogues c’est que l’on a perdu la guerre depuis les années 70 » martèle Guillaume Sudérie, le président de la CREAIORS d’Occitanie.
Le CREAI ORS Occitanie est un lieu d’échanges, de rencontres et d’élaborations de pratiques. Enquêtes, publications de connaissances, études, accompagnements à la mise en œuvre des politiques publiques…. Il œuvre en faveur de l’action sociale, sanitaire et médico-sociale pour favoriser la santé, l’autonomie des personnes et leur inclusion dans la société.
Selon Guillaume Sudérie, cette nouvelle mesure peut constituer un bon outil pour les policiers si elle est bien appliquée.
« C’est très efficace sur les gamins même si la verbalisation ne s’applique pas aux mineurs mais pour ceux qui sont en situation de dépendance cela reste inefficace »
Guillaume Sudérie rejoint le discours de nombreuses associations spécialisées dans les addictions et notamment les drogues. Des associations pour qui « c’est une illusion désespérante de croire qu’une politique répressive a un effet quelconque sur la consommation de drogue dans notre pays ».
En revanche pour Guillaume Sudérie, cette nouvelle loi n’est autre qu’un procédé de dépénalisation :
« si le consommateur est verbalisé il ne va pas pour autant arrêter de se droguer surtout si il est en situation de dépendance. C’est juste une loi pour réguler l’espace public. »
D’autant que les dispositifs mis en place entre le parquet, les associations et les centres médicaux sociaux fonctionnent bien. Aujourd’hui on a fait d’énormes progrès explique t-il, il y a de la prévention individuelle, rien à voir avec les programmes d’il y a 15 ans, toutes les institutions travaillent la main dans la main.
Les consommateurs de cannabis dans le viseur
Le ministre de l’intérieur Gérard Darmanin croit en ce nouveau dispositif mis en place depuis ce mardi, il va permettre selon lui à lutter contre les trafics de drogues :
« ce sont les consommateurs qui font naître les trafics…les policiers iront partout car la drogue est partout ».
Guillaume Sudérie précise que le consommateur de cannabis est particulièrement visé par cette nouvelle mesure. Et il n’existe pas de profil type de consommateur, comparé à d’autres drogues comme l’héroine ou la Kétamine.
« Le fumeur de cannabis c’est tout le monde, n’importe qui n’importe où. »
Selon une étude parue en 2012, les profils de fumeurs de cannabis sont invisibles justement en raison des lois répressives, c’est pour cela aussi qu’il faut légaliser le cannabis selon lui.
Cela permettrait aux personnes d’en parler à leur entourage, de consulter des spécialistes et prendre conscience de leur addiction et de se soigner. Car les fumeurs de cannabis sont nombreux, à Toulouse le centre médico-social reçoit plus de 26 000 personnes par an concernant des addictions à l’alcool et cannabis. Tous les ans ils sont de plus en plus nombreux et le dispositif va craquer si on ne lui donne pas davantage de moyens.
« Il y a tellement de consommateurs en France, des millions, dans certains quartiers il y a des queues impressionnantes devant les barres d’immeubles. »
Globalement les gens ne consomment pas le produit, ils y sont confrontés. Le cannabis touche toutes les classes sociales, dès la 4ème il joue un rôle de socialisation et on le trouve autant dans les lycées du centre-ville comme dans ceux des banlieues toulousaines.
Légaliser la consommation de cannabis pour assécher les trafics
« Ce n’est pas en verbalisant les consommateurs de stupéfiants et notamment de cannabis que l’on va assécher les trafics. Dépénaliser ce n’est pas légaliser. »
Cette mesure pour éradiquer les trafics de cannabis ne peut pas marcher, cela aura peu d’impact sur le système. Il y a davantage de morts de moins de 30 ans liés à la violence du trafic que de morts liés à la consommation du cannabis.
A Toulouse comme en France le trafic de cannabis est un marché juteux très bien organisé et géré par 300 personnes environ, c’est un marché très tendu très bien approvisionné avec peu de stocks et qui rapporte gros. Il faut savoir qu’une barre d’immeuble rapporte plus de 30 000 euros par jour.
Il ne faut pas stigmatiser les quartiers car ils sont une poignée à tenir le trafic au détriment de la population qui elle subit. Le problème c’est que cette organisation de trafic s’appuie sur la misère et l’accentue. Les dealers font appels aux jeunes en décrochages scolaires ou à des jeunes sans papiers. A la sortie de la prison pour beaucoup, ils replongent dans ce milieu. Il y a très peu de stock, les policiers trouvent rarement de cannabis quand ils font une opération de fouille dans les immeubles. Les quartiers toulousains génèrent le trafic mais il faut les stigmatiser pour autant, ils sont la face visible de l’iceberg , le dealer c’est le copain du copain.
C’est un constat malheureux mais réel et c’est pour cela que je dis que l’on a perdu la guerre contre la drogue, il faut aider les gens des quartiers, la légalisation si elle est bien mise en place pourrait aider à lutter contre le trafic.
« Il faut réguler l’offre et prendre la main, il faut changer de paradigme ! »
Pendant le confinement dû à l’épidémie de covid, le marché a muté
Les deux plus grands producteurs de cannabis sont l’Afghanistan et le Maroc. En France Les études montrent qu’aujourd’hui 1/3 de la production de cannabis est réalisée par les consommateurs eux-mêmes. Il n’y a jamais de pénurie, le trafic est très bien organisé.
La demande durant le confinement a baissé légèrement et les prix ont augmenté. L’approvisionnement n’a pas en revanche faibli, la marchandise provenait comme toujours du Maroc ou de l’Espagne, le cannabis arrive par kilos voir par tonnes dans les camping-car du grand père qui rentre du Maroc, ou encore dans des voitures qui font l’aller-retour entre Toulouse et l’Espagne, la fameuse technique du go fast. Les dealers sont très bien organisés et avec le confinement une nouvelle forme de diffusion apparait, la livraison à domicile. Le consommateur ne prend plus de risque c’est le fournisseur qui le prend. Une offre qui pourrait se développer en raison de cette nouvelle mesure qui vise à taper pour de nombreuses associations « dans le portefeuille du consommateurs » plutôt que d’éradiquer le trafic…
Dispositif TREND, Tendances Récentes et nouvelles drogues
Le dispositif TREND national s’appuie en premier lieu sur un réseau de sept coordinations locales (Bordeaux, Lille, Marseille, Metz, Paris, Rennes, Toulouse) dotées d’une stratégie commune de collecte et d’analyse de l’information. Les outils de recueil utilisés sont essentiellement qualitatifs. Dans la synthèse de l’étude de 2018 on découvre le prix de différentes drogues et des nouvelles tendances de consommation de nouvelles drogues. L’étude de 2019 va prochainement être diffusée sur le site CREAI ORS Occitanie.