Rhône, samedi 6 mars 2021
Propos recueillis par Annie DEMONTFAUCON
La vie d’enquêteur stups n’est pas un long fleuve tranquille. Il leur faut batailler pour arriver à mettre sous les verrous des dealers. Et plus grosse est la cible, plus dure est l’interpellation.
« Parfois on a l’impression qu’on vide une baignoire à la petite cuillère ». Cette phrase prononcée par un enquêteur en dit long sur le sentiment de ceux qui traquent jour et nuit les trafiquants de stups. Confidences recueillies sur les difficultés du métier.
Impunité
« À part les gros, les têtes de réseau qui prennent plusieurs années de prison, les autres, on les retrouve dehors très rapidement dans la rue. Un trafic, tu le démontes mais on sait qu’il va se remettre en place très vite. Ce n’est pas parce que tu as arrêté des types que tu peux considérer que le quartier est nettoyé », lâche un autre.
L’explication ? À tous les niveaux du trafic, chacun y trouve son intérêt financier. Ils s’endettent en achetant de la marchandise et la remboursent en revendant. Ils sont coincés par leur « dette ». Impossible de s’arrêter aussi quand des familles entières vivent de cette manne.
Policiers et gendarmes pointent également le rôle des consommateurs qui nourrissent, alimentent et entretiennent toute une chaîne, du petit dealer de rue qui les approvisionne au grossiste en passant par l’importateur.
« Un type qui reçoit 60 appels dans la journée, ça représente 3 heures d’écoute »
Chronophage
Les arrestations de revendeurs, les services en font très souvent parce que c’est la partie la plus visible du trafic mais remonter jusqu’au « haut du panier » exige de longs mois d’enquête, de surveillances et d’écoutes, la « corvée » de ceux qui bossent aux stups.
« C’est l’enfer, c’est chronophage. Un type qui reçoit 60 appels dans la journée, cela représente 3 heures d’écoute. Ils parlent par demi-mots ou en langage codé, il faut décrypter. Cela représente un nombre d’heures énorme de transcription. »
Et le résultat n’est pas toujours là. « En plus, ils changent souvent de téléphone ce qui nous oblige à chaque fois à demander des autorisations pour les mettre sur écoute ».
Armada
Gendarmes et policiers le reconnaissent : il est de plus en plus difficile d’intervenir dans les cités. Ils arrêtent en flagrant délit des dealers de quartier et des trafics sont démantelés mais la chasse aux donneurs d’ordres est périlleuse. « Pour nous, c’est plus compliqué en matière de réactivité. Il y a trente ans, pour une perquisition, on n’avait pas besoin d’une armada de gens casqués ! On toquait à la porte et on investissait l’appartement. Aujourd’hui, sur chaque intervention, on pèse le pour et le contre. On se demande : quelle sera la plus-value pour le dossier au vu des moyens engagés. Si on est en minorité, ça peut vite dégénérer et on risque d’avoir des gens « au tas » (blessés). Quand on a affaire à des multirécidivistes, c’est minimum GIGN. »
« Si on ne vient pas avec trois compagnies de CRS, observe un autre enquêteur, ce n’est pas possible. Il y a vingt ans, on serrait un mec à deux-trois tôt le matin. Aujourd’hui, il faut mettre les moyens ce qui suppose des autorisations en veillant aux prérogatives de chacun. Il faut prévenir le responsable de secteur, le préfet, le procureur… On doit écrire des messages en x exemplaires ! On le fait mais c’est compliqué. »
Incognito
Avec les mômes recrutés en pagaille comme guetteurs, le moindre enquêteur même en civil est très vite repéré. « À Rillieux, Vaulx, tu es vite détronché. Tu as un profil européen, une voiture suspecte. Si tu fais un passage, c’est ok mais si tu reviens une semaine plus tard, ils s’en souviendront. Bon, on arrive quand même à poser des « sous-marins » au coeur des trafics mais on ne sort pas. Et pour les planques, il faut choisir ses heures […] Dans les quartiers, des dealers demandent la carte d’identité quand tu te pointes. Ils vont au contact même si tu es flic. Moi, ça m’est arrivé à Oullins sur une planque. « T’es qui toi ? », un type m’a dit. Il n’y a plus de barrières. »
Saisie
Les trafiquants le savent bien : c’est la quantité de drogue saisie qui pèsera face à un tribunal. Donc ils disséminent de plus en plus la marchandise et en transportent le moins possible ce qui évite aussi les pertes s’ils sont arrêtés.
« Les dossiers sont toujours plus épineux à sortir. Ce sont des enquêtes de longue haleine qui n’aboutissent pas toujours à une saisie ce qui nous permet de formaliser un trafic. Judiciairement parlant, on sera plus écouté et on jugera notre dossier plus solide si on ramène 50 kg que 20 grammes. »
Source : Leprogres.fr