INTERVIEW – À la tête du groupe d’études sur le cannabis, l’insoumis Christophe Bex avance que la meilleure façon de lutter contre les dérives autour du cannabis reste d’encadrer sa vente par l’État.
S’ils gagnent l’élection, vont-ils changer la législation sur le cannabis ? À chaque présidentielle, la question est posée aux candidats, généralement suivie d’une autre sur leur passif personnel en la matière. Alors qu’en 2016, Emmanuel Macron s’était montré favorable à la dépénalisation des petites doses de cannabis, il n’a finalement pas fait évoluer la législation vers une plus grande tolérance lors de son premier quinquennat. Lors de la dernière présidentielle, il a même rappelé son opposition à la légalisation. Nommé il y a quelques jours président du groupe d’études sur le cannabis, le député de La France insoumise (LFI) Christophe Bex milite, lui, pour un encadrement de sa vente par l’État et ne désespère pas d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale pour porter un tel projet.
« On reste l’un des pays les plus répressifs sur la marijuana, mais aussi l’un des plus gros consommateurs »
Le cannabis s’invite régulièrement dans les débats politiques, sans que cela n’entraine d’évolutions majeures. Pourquoi ?
Avant que je ne sois nommé président du groupe d’études sur le cannabis, une mission parlementaire a déjà effectué un très bon travail en menant de nombreuses consultations. Mon collègue Éric Coquerel a déposé une proposition de loi lors d’une de nos niches parlementaires de la présidente législature. Et pendant longtemps, Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur sous Lionel Jospin, a porté l’idée d’une légalisation. Malgré ces travaux et ces réflexions, on reste l’un des pays les plus répressifs sur la marijuana, mais aussi l’un des plus gros consommateurs. Ce constat sonne comme un paradoxe et pose question. Est-ce que cette répression s’explique par notre culture du vin ? C’est justement un axe que j’aimerais interroger : pourquoi la France ne bouge pas sur ce sujet, quand des États américains, le Portugal, l’Allemagne ou même les Pays-Bas font évoluer leur législation. Et le problème, c’est que sur le cannabis, on ne peut pas faire de prévention tant qu’il est prohibé.
Une des dernières mesures proposées autour du cannabis, c’est une amende contre ses consommateurs défendue par Gérald Darmanin lors du dernier quinquennat. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fausse solution, car on ne résout rien avec ces amendes à 200 euros. Cette mesure culpabilise le consommateur, sans prendre le problème à la racine. Et les problèmes majeurs, ce sont le trafic et le niveau de consommation des adolescents. Pour les régler, il faut pouvoir réguler, interdire sa vente auprès des plus jeunes, encadrer et surtout faire de la prévention. On ne pourra pas lutter efficacement autrement.
Fin décembre, le Conseil d’État a annulé l’arrêté interdisant la vente de CBD. Interdiction, autorisation : pourquoi autant de tergiversations ?
Une interdiction avait été prise en décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et des feuilles de cannabis ayant un taux de THC inférieur à 0,3 %. Cette décision mettait en péril toute une économie, puisque nombreuses personnes avaient investi dans des boutiques. Et pour certains malades, le CBD soulageait et évitait de prendre des médicaments plus forts. Malgré tout, on a avancé sur le sujet et on s’est rendu compte que cela permettait aux gens qui fument du cannabis de conserver la gestuelle tout en perdant l’habitude du THC, un peu comme les cigarettes électroniques avec les fumeurs de tabac. On a fait un pas en arrière, puis un pas en avant, mais le bilan est plutôt positif, puisque cela rend visible ce que pourrait être un cannabis suivi et contrôlé par l’État.
« Si l’on fait un travail sérieux, on peut convaincre l’exécutif de modifier ses positions »
Quels projets aimeriez-vous porter ?
Il faut rappeler que c’est un enjeu de santé publique qui doit être pris au sérieux. Au sein de La France insoumise, on a déjà un programme pour aller vers une légalisation contrôlée par l’État et, pour cela, on peut s’appuyer sur la proposition de loi déposée en novembre 2021 par nos députés. Pour autant, ce groupe d’études permettra de nourrir nos réflexions en menant des auditions. Même si je sais que la France est conservatrice sur ce sujet, je pense que cela peut aller vite.
« Aller vite », n’est-ce pas compliqué sachant que vous n’avez pas de majorité au Parlement et que le sujet divise la classe politique ?
Il faut faire 50 % pour qu’une loi passe, donc mathématiquement, on ne pourra pas compter uniquement sur le soutien de notre groupe. Heureusement, des députés de la majorité pourraient soutenir cette idée car c’est un sujet transpartisan. Derrière, il y a des enjeux économiques, de sécurité et de santé. C’est aussi un enjeu pour la police. Cette lutte contre le cannabis lui demande beaucoup d’énergie et des moyens qui pourraient être réorientés ailleurs. C’est forcément un sujet qui fera polémique quand il sera mis sur la table, mais moins qu’il y a dix ou vingt ans.
Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est tout de même montré fermement opposé à une telle mesure…
Il est parfois difficile de suivre Emmanuel Macron sur certains sujets, la réforme des retraites nous le montre. Par moments, cela peut apparaître déconcertant. On remarque un coup de barre à droite par rapport à ses premières déclarations sur le cannabis. Avant la présidentielle de 2016, il évoquait même l’idée de dépénaliser les petites doses. Mais je reste persuadé que si l’on fait un travail sérieux, on peut convaincre l’exécutif de modifier ses positions.
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