Le Progrès (Lyon)
Rhône, jeudi 4 mars 2021
Annie DEMONTFAUCON
La lutte contre le trafic de stupéfiants est un combat sans fin. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin en a fait une priorité et régulièrement, des filières tombent. Pourtant rien ne semble pouvoir arrêter ces dealers qui opèrent dans certains secteurs au grand jour faisant des habitants, des témoins impuissants, excédés ou résignés.
Au mois de décembre, la publication du nombre de points de deals répertoriés par le ministère de l’Intérieur sur le territoire français avait fait grand bruit. Il faut dire que le Rhône apparaissait comme le deuxième département français le plus touché avec 255 « supermarchés de la drogue » localisés essentiellement dans l’agglomération lyonnaise et sur les grands axes de passage.
« Le pays est complètement ravagé par la drogue, il y a plus de trafiquants que de boulangers ! », lâche au Progrès un gradé de la gendarmerie, dépité. Ceux qui luttent contre ce fléau ne se voilent pas la face : « Il y a une explosion du trafic et de la consommation. Cela transparaît au niveau des saisies qui ne sont que l’écume des choses. La police, la douane, la gendarmerie ne récupèrent que de 8 à 10 % de la marchandise qui entre ! »
Ce n’est pas faute pourtant de traquer sans relâche les pourvoyeurs de drogues en tous genres. Dans les zones les plus touchées, les habitants subissent chaque jour ces kystes qui gangrènent leurs rues, leurs allées, leurs commerces. Des petites mains car les gros bonnets restent à distance.
« Ce trafic engendre des troubles importants à la tranquillité publique et présente un désagrément quotidien pour les habitants dans les quartiers où il se développe, résume la DDSP (direction départementale de la sécurité publique). Les riverains concernés subissent les conséquences des allées et venues des dealers et des clients. »
« Ils grignotent, s’étalent »
Jean-Luc Pollina, Vaudais depuis plus de quarante ans, président de copropriété se sent bien dans sa résidence des Cervelières mais la proximité du trop connu Mas-du-Taureau se ressent : « Depuis cinq ans, ça a empiré. Ils grignotent, s’étalent. Ils vendent leur marchandise comme on va chez le boulanger. On voit même où ils cachent leur drogue. La dernière fois, j’ai croisé un gars jeune avec une liasse de billets. ».
Il regrette cette mauvaise image donnée à Vaulx sans nier la réalité du trafic. Depuis la fenêtre de son salon, il nous montre derrière des tours le « secteur » où « ça deale beaucoup » : la promenade Lénine. Une rue piétonne et boisée qui longe des immeubles : « Ils ont pris le contrôle d’une allée. Les gens qui y vivent subissent leur loi. » Certains sont obligés de montrer leur carte d’identité pour entrer chez eux. Mais personne ne parle par crainte des représailles.
« Chez moi, ça s’est « minguettisé » ! »
D’autres qui étaient épargnés voient avec angoisse leur quartier se transformer. Mustapha, la soixantaine, habite depuis trente ans dans la cité Mozart-Verlaine à Vénissieux à la limite de Lyon. « C’était tranquille jusqu’à 2-3 ans et surtout depuis un an. Des jeunes ont pris possession du quartier. Ça s’est « minguettisé » ! Les habitants sont exaspérés mais le bailleur est aux abonnés absents ». Mustapha décrit une présence quotidienne et permanente de vendeurs qui se sont installés sur un parking et n’ont pas hésité à taguer « Drive » sur un mur. « Ils font leur commerce et nous laissent tranquilles, mais le climat est tendu. » Et la rénovation de la cité ne va pas les chasser. Au contraire, peste cet habitant : « Ils ont mis des bancs dans le jardin. C’est comme s’ils leur donnaient des trônes. »
Chaises pliantes, fauteuils… Les guetteurs prennent leurs aises et ne craignent pas d’être vus. Ils sont les yeux de la cité, des vigies qui obligent à passer la tête basse. On rase les murs ou au mieux, on ne les regarde pas. On vit côte à côte, impuissants, contraints et forcés, exaspérés ou résignés. Et on supporte les rodéos de deux-roues, bien pratiques pour détourner l’attention des forces de l’ordre. Chacun est alors témoin « qu’ils tiennent leur territoire ».
Un fléau
« J’accuse l’État qui ne donne pas les moyens pour sortir de ce fléau que notre société est incapable de gérer ! » tempête Jean-Luc Pollina, le Vaudais. « On n’en aura jamais fini avec ça », souffle un policier de terrain. « Les truands ont gagné la guerre des stups », lâche, dépité, un capitaine de gendarmerie. Pas question pourtant de baisser les bras. Toutes les troupes sont mobilisées. « La lutte contre le trafic, premier marché criminel en France, reste un grand défi », assure un commissaire divisionnaire. La guerre n’est pas finie.
Au niveau des saisies, la police, la douane, la gendarmerie ne récupèrent que 8 à 10 % de la marchandise qui entre.
De la résine de cannabis, lors d’une saisie à Lyon. Photo Progrès /Joël PHILIPPON
« La lutte contre le trafic, premier marché criminel en France, reste un grand défi », assure un commissaire divisionnaire. Photo Progrès /MaxPP/Johan BEN AZZOUZ
Vaulx-en-Velin. L’une des plaques tournantes du trafic dans l’agglo. Photo Progrès /JEGAT MAXIME
Source : Leprogrès.fr