Thierry Colombié, chercheur spécialiste du crime organisé, détaille les raisons du grand chambardement qui touche le trafic de drogue depuis le début du confinement.

Si certaines saisies de drogue ont eu lieu récemment, les forces de l’ordre vont devoir faire face à de nouveaux types de transports pour la marchandise. (Illustration) DR
Docteur en sciences économiques diplômé de l’EHESS, l’école des hautes études en sciences sociales, Thierry Colombié est spécialiste de la grande criminalité, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages (dont « la French Connection, les entreprises criminelles en France », éditions Non lieu). Il décrypte la reconfiguration du trafic de stupéfiants à l’heure du confinement et de l’épidémie de coronavirus.
Comment l’épidémie de Covid 19 affecte-t-elle le trafic de drogue ?
THIERRY COLOMBIÉ. Les consommateurs sont confinés, et les approvisionnements sont freinés par le ralentissement des transports. Certes, comme d’autres stockaient le papier toilette en anticipant ce confinement, certains consommateurs ont fait des stocks. Mais les dealers français, eux, en possédaient peu. La drogue est en France un marché à flux presque tendu. L’offre s’est effondrée beaucoup plus que la demande, et cela génère donc une inflation très nette sur les prix, ainsi qu’une baisse de la qualité des produits, beaucoup plus coupés.
Le prix de gros n’a jamais été aussi bas. On sait aussi que c’est une drogue qui prospère sur la misère psychologique et sociale, laquelle va se développer avec les difficultés économiques liées à l’épidémie, qui touchent déjà certains Français. L’héroïne est une drogue prosélyte, qui oblige l’usager à revendre pour assurer sa consommation. Il y a là aussi un risque d’épidémie…
Lorsque l’on sait que le trafic de drogue représente 2,3 milliards d’euros par an sur le territoire, et 0,1 point de PIB, cette crise ne va-t-elle pas aussi affecter les dealers ?
Avec un risque non négligeable d’explosion sociale et d’émeutes urbaines. Au Maroc, dans une région du Rif traditionnellement insoumise, le cannabis fait vivre 800 000 personnes. Les stocks y sont très importants. Et la décision du Maroc, le 6 avril, d’autoriser exceptionnellement les pêcheurs espagnols d’opérer dans ses eaux et d’utiliser ses pêcheries doit à mon sens être aussi analysée en fonction de ces données… Le trafic de stupéfiants représente d’énormes enjeux géopolitiques et sociaux. Il est évident que certaines routes vont être rouvertes pour limiter les tensions. C’est aussi l’un des effets de cette pandémie : faire prendre conscience des enjeux souterrains révélés par cette crise mondiale.
Source : leparisien.fr