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Le constat est partout unanime : seule une vraie politique de réduction des risques dans un cadre de dépénalisation de l’usage peut se révéler efficace en matière de drogues. Encore faut-il pouvoir en parler sans tabou.
Tribune. Ce vendredi 24 mai se tenait, à Paris, la XIIIe Conférence internationale sur les politiques des drogues. Vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal, tant le débat serein en France sur les drogues est difficile. Pourtant, il pourrait rassembler des élus de tous bords animés par la seule préoccupation d’une politique publique efficace.
C’est notre cas. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais nous avons signé le 27 avril la même déclaration, en compagnie d’élus et de parlementaires du monde entier, de toutes tendances politiques. L’objet de cette déclaration ? Soutenir la politique de réduction des risques en matière de drogues au niveau mondial. En marge de la XXVIe Conférence internationale sur la réduction des risques, à l’invitation de Médecins du monde et du réseau de parlementaires engagés dans la lutte contre le VIH, Unite, nous avons pu débattre avec des experts, des professionnels de santé, des élus de tous pays. Tous partagent le même constat : la politique de réduction des risques en matière de drogues est une nécessité et une réussite. Elle permet de réduire les cas de contaminations de VIH et d’hépatite C de manière très importante. Mais il y a une dimension supplémentaire qui a été abordée par tous, et notamment par le professeur Michel Kazatchkine, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, tuberculose, paludisme et membre de la Commission mondiale sur la politique des drogues : la réduction des risques n’est vraiment efficace que dans un cadre de la dépénalisation de l’usage.
Le choix du Portugal, de ce point de vue, n’est pas anodin : en 2000, le pays a fait le choix de dépénaliser la consommation individuelle de toutes les drogues – tandis que le trafic reste illégal. Dix-neuf ans plus tard, les résultats sont là : le Portugal compte deux fois moins de personnes dépendantes aux opiacés qu’en 1999, le taux de décès liés aux usages de drogues a chuté, il est cinq fois plus faible que la moyenne de l’Union européenne ; quant au taux de nouvelles infections au VIH liées à l’injection de drogues, il a été divisé par 18 en onze ans. Bien sûr, une telle politique s’est accompagnée d’un effort de prise en charge par le système de santé, par une politique accrue de prévention. Surtout, le plus étonnant, pour nous autres Français, est le consensus politique très large qui règne dans le pays autour de l’efficacité de cette politique. Les débats sur les drogues existent toujours, mais sont très apaisés, fondés sur les évidences scientifiques et non sur l’idéologie, la morale ou l’émotionnel.
Quel contraste avec la France ! Tout débat sur la dépénalisation est difficile, très vite manichéen, et surtout éloigné de la réalité de terrain et des évidences scientifiques. La France a pourtant mené une politique de réduction des risques en direction des usagers de drogues très efficace : création de centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), échange de seringues, mise à disposition de produits de substitution, et, plus récemment, salles de consommation à moindre risque. Cette politique est efficace du point de vue de la santé publique, car elle a bel et bien permis de diminuer le nombre de décès, de réduire considérablement le taux de nouvelles infections au VIH. Pourtant, vous ne verrez jamais un ministre de la Santé se vanter de ces résultats. Parler de drogues demeure tabou, si ce n’est sur le volet répressif. Mais cette législation répressive française, produit-elle ses effets ? A l’âge de 16 ans, les Français sont les premiers consommateurs de cannabis en Europe. Or, comment expliquer que les dangers du cannabis sont extrêmement plus forts avant la formation définitive du cerveau, si l’on en est réduit à n’avoir qu’une approche sur l’interdit ?
Il est temps que s’ouvre en France ce débat fondé sur les évidences scientifiques qu’ont été capables de mener d’autres pays. Il est temps aussi de mettre fin à notre hypocrisie, celle qui consiste à n’avoir que peu de moyens de prévention, une consommation très élevée de cannabis, et considérer que nous avons la solution avec notre cadre répressif. Il est temps que des élus de tous bords se mettent au travail pour définir une nouvelle stratégie politique nationale en matière de drogues.
Source : https://www.liberation.fr/debats/2019/06/04/a-quand-un-debat-serein-sur-les-drogues-en-france_1731642