Dans les villes franciliennes et de l’Oise, classées en zone de sécurité prioritaire ou avec un quartier de reconquête républicaine, 50% des maires que nous avons interrogés sont favorables à la légalisation du cannabis, 22% sont contre et 28% ne se prononcent pas.
Par Carole Sterlé et Florian Loisy avec Olivier Debruyne, Maïram Guissé et Aurélie Foulon
Le 18 janvier 2021
« Pensez-vous que le dispositif actuel de répression de la consommation de cannabis permet d’en limiter l’ampleur ? En cas de légalisation ou de dépénalisation, seriez-vous favorable à la possibilité pour les particuliers de cultiver à des fins personnelles un nombre de pieds de cannabis fixé par la loi, comme c’est le cas au Canada ? » Ces questions sont posées depuis mercredi sur le très officiel site de l’Assemblée nationale. La mission parlementaire d’information sur la réglementation et les usages du cannabis, créée il y a un an, vient de lancer cette consultation citoyenne sur le cannabis dit récréatif pour éclairer ses propositions attendues au printemps.
« Vingt millions de Français déclarent avoir déjà expérimenté le cannabis, 200 000 personnes vivent de l’économie souterraine du cannabis… Il y aura forcément une évolution en France, on ne peut pas rester isolé en Europe », avance Robin Reda, jeune député de l’Essonne (LR) qui préside cette mission et refuse « de laisser ce débat idéologiquement à la gauche ». Le sujet s’invite de plus en plus dans le débat public.
Un quart des points de deal en Ile-de-France, selon Beauvau
Y compris sur les plateaux télé, où le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est exprimé sans détour : « On ne va pas légaliser cette merde », ce serait « une lâcheté intellectuelle. » Mais qu’en pensent les élus de terrain d’Ile-de-France et de l’Oise en première ligne ? Selon le décompte des points de deal du ministère, révélé par Le Parisien le 20 décembre, ce bassin géographique représente en France plus du quart des points de deal du pays, 1029 sur 3952.
Pour prendre le pouls des élus franciliens et de l’Oise, nous avons choisi le casting du ministère de l’Intérieur : les maires des villes en première ligne pour le trafic, celles qui sont classées en zone de sécurité prioritaire ou avec un quartier dit de « reconquête républicaine ». Certes on peut aussi acheter de la drogue ailleurs, mais puisque le ministère estime que la priorité est là, nous avons appelé ces élus.
Ils sont trente-six au total, des neuf départements concernés, vingt issus de partis de gauche, sept à droite, et d’autres à la tête de liste citoyennes ou non étiquetées. A tous, la même question : « êtes-vous favorable à la légalisation du cannabis, contre, ou vous ne vous prononcez pas ? »
Force est de constater que le sujet n’est pas encore au goût de tous. « Vous m’emmerdez avec ce sujet! » nous lâche un maire. Il a fallu en rappeler un autre onze fois pour connaître son point de vue. Au final, quatre élus n’ont pas répondu : les maires de Méru et Chambly dans l’Oise, Fosses dans le Val-d’Oise et le maire de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, haut lieu du trafic, où une fusillade a encore endeuillé plusieurs familles cet automne.
Des avis tranchés
Des pro à droite et des anti à gauche. Que ce soit en petite ou en grande couronne, les résultats ne sont pas un copié-collé de l’échiquier politique. On peut être socialiste (Noisiel) ou communiste (Montataire), LREM (Nogent-sur-Oise) contre la légalisation, et favorable en étant encarté chez Les Républicains (Mantes-la-Jolie). S’il n’y a pas d’unanimité sur le sujet, une majorité se distingue néanmoins en faveur d’une légalisation (50 % des réponses exprimées), le reste se divisant entre ceux qui ne se prononcent pas (28 %) _ regrettant souvent un manque d’information sur le sujet _ et ceux qui sont totalement contre (22 %).
« Ce constat est à l’image des enquêtes d’opinion, estime Alessandro Stella, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Le grand tournant est venu des Etats-Unis qui ont légalisé le cannabis, et comme souvent les Etats-Unis donnent le LA, cela se ressent en France, qui reste le pays le plus répressif en Europe ».
« Dépénaliser, c’est abdiquer », balaye Manuel Aeschlimann (LR) à Asnières, opposé à la légalisation. L’« ancien policier, père de cinq enfants » et maire LR d’Aulnay Bruno Beschizza, redoute que la légalisation entraîne une surenchère.
« La prohibition n’empêche pas le trafic, mais si c’est légalisé, est-ce qu’on pourra faire plus de prévention ? » s’inquiète Karine Franclet, maire (UDI) d’Aubervilliers et ancienne principale de collège. Plusieurs maires souhaiteraient des « assises » sur le sujet, comme Patrick Haddad (PS) à Sarcelles ou « une conférence de consensus », comme Eric Pliez (Paris en Commun, XXe).
Quatre élus sont devenus favorables
Pragmatiques, pas laxistes, selon la formule d’Éric Lejoindre (Paris XVIIIe, PS) à l’image des seize maires favorables. Trio de tête des arguments avancés : l’échec de la prohibition, la santé publique empêchée et la manne financière qui échappe aux caisses de l’État. « Légaliser, c’est aussi protéger les gamins de bonne famille qui se pètent le cerveau. C’est une politique pour nos enfants au sens large » estime Mathieu Hanotin (PS, Saint-Denis). « La répression c’est contre productif, comme avec la prohibition de l’alcool dans les États-Unis des années 20 », estime Ali Rabeh (Génération. s, Trappes). Des divergences existent sur la mise en œuvre de cette légalisation : « pas avant 21 ans », demande ainsi Bruno Piriou (DVG, Corbeil-Essonnes).
« Pendant très longtemps, j’étais contre, mais j’ai cheminé et je me rends compte que malgré le travail fait, on est devant une espèce de mythe de Sisyphe » confie Gilles Poux (La Courneuve, PC), cinquième mandat. Sisyphe fut condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui redescendait à chaque fois. Même constat pour Raphaël Cognet (Mantes-la-Jolie, LR) : « Mon expérience de maire depuis trois ans m’a fait évoluer sur la question […] je ne vois pas comment, de manière policière et judiciaire, arrêter le trafic, c’est vider la mer à la petite cuillère. »
Les avis changent, Bertrand Kern, à Pantin (PS), en est convaincu : « Je teste le sujet lors des réunions publiques. Les plus âgés étaient viscéralement contre, mais en dix ans, j’ai vu le changement d’opinion ». Il espère que le PS s’emparera du sujet aux prochaines présidentielles. Il n’est pas le seul. Le député de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel (LFI), qui va déposer au printemps une proposition de loi en faveur de la légalisation du cannabis, aimerait que d’autres partis se rallient.
Votre maire est-il pour ou contre la légalisation du cannabis ?
Paris
18e arrondissement – Éric Lejoindre (PS/Paris en Commun)
19e arrondissement – François Dagnaud (PS/Paris en Commun)
20e arrondissement – Eric Pliez (Paris en Commun)
10e arrondissement – Alexandra Cordebard (PS/Paris en Commun)
Source : Leparisien.fr