Deux membres de la famille Tir sont accusés d’avoir commandité le meurtre de Zakary Remadnia en 2014. Une rivalité sur fond de trafic de drogue qui aurait déjà provoqué une vingtaine de règlements de comptes depuis 2010.
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Deux policiers lors de la visite du premier ministre, devant la cité Kallisté, à Marseille, le 12 avril.
Ils sont cousins et, gamins, ils jouaient au foot ensemble au centre aéré de Font-Vert, dans les quartiers nord de Marseille. Ils ont grandi en partageant des fêtes de famille, et plus tard leur cellule au quartier des mineurs de la prison d’Aix-en-Provence. Mais aujourd’hui, à en croire les policiers spécialisés dans la lutte contre le narcobandistime, entre les Tir et les Remadnia, rien ne va plus. C’est une guerre sans merci que se livrent certains membres de ces deux familles berbères originaires du même village des Aurès, en Algérie. Une vendetta sur fond de trafic de drogue qui aurait déjà provoqué une vingtaine de règlements de comptes depuis 2010.
La cour d’assises des Bouches-du-Rhône doit ouvrir, vendredi 4 octobre, l’un des chapitres de cette saga sanglante : l’exécution de Zakary Remadnia, 23 ans, le 18 juillet 2014. Il venait de quitter sa copine et roulait à scooter. Une Golf noire l’a percuté pour le faire chuter. Deux hommes cagoulés l’ont poursuivi sur quelques mètres, à l’entrée du camp militaire de Sainte-Marthe. Cinquante-trois balles tirées d’une kalachnikov et d’un pistolet 9 mm, plus de vingt impacts dans le corps du jeune homme surnommé « l’Étudiant ».
Deux ans plus tôt, c’est son cousin « Jojo », Ilias Remadnia, qui a été victime d’un règlement de comptes alors que les stups surveillaient les deux cousins et prévoyaient de les faire « tomber » pour des « go-fast » acheminant le cannabis d’Espagne. En février 2017, Mehdi Remadnia, « l’Ours », a également été tué peu de temps après sa sortie de prison. La tante de ces victimes, Nora Preziosi, adjointe au maire de Marseille et conseillère régionale (LR), avait lancé un cri d’alarme contre la violence après la mort de Zakary, pleurant « tous ces enfants qui meurent mais aussi ceux qui tuent ». Dans cette comptabilité morbide, il faut ajouter les « lieutenants » et associés au trafic de drogue.
Saga sanglante
Devant la cour d’assises, ce sont donc des Tir qui occupent, à partir de vendredi, le box des accusés. Mais cette famille compte aussi ses morts, victimes des « matchs retour », comme disent les policiers. Jugé pour complicité de meurtre en bande organisée, Hichem Tir, 34 ans, avait repris l’activité de son frère Karim, alias « Charlie », manageur du rappeur marseillais Jul, qui a été exécuté à Asnières (Hauts-de-Seine), en juin 2014, un mois avant Zakary Remadnia. Hichem avait déjà enterré son demi-frère Farid Tir, gérant d’un magasin de mode dans les quartiers chics de Marseille, abattu en 2012 à la Belle de Mai.
Décrit comme affable, Hichem Tir était persuadé que Zakary Remadnia avait pris part au meurtre de Karim, ce frère qu’il adorait, uni à lui par un « incroyable amour fraternel », selon un enquêteur. Les rumeurs du quartier, les informations glanées dans le marigot des trafiquants de stups le confortaient dans sa conviction : « J’étais très remonté contre [Zakary Remadnia], je ne dis pas que je n’avais pas envie de le tuer, j’aurais même aimé participer à ça, à ce moment-là, je venais de perdre mon frère, de perdre ma vie », se confiera-t-il, avec beaucoup d’émotion, durant sa garde à vue, en 2017. Avant de contester aussitôt être le commanditaire de ce meurtre.
Hichem Tir assure ne pas être allé au bout de son désir de vengeance. « Remadnia avait une haine personnelle contre nous, de la réussite de notre famille », a-t-il raconté. Quelque temps avant sa mort, Zakary partageait pourtant encore des soirées avec Hichem Tir, à Paris, ou des séances d’enregistrement de Jul. Hichem Tir était à Nîmes le jour du meurtre de « l’étudiant », mais l’accusation estime qu’il en est l’un des commanditaires.
Désir de vengeance
Sofiane Agueni, dit « Banane », est, quant à lui, accusé d’être l’un des exécutants. Ce qu’il nie. Lui n’appartient pas au clan des Tir. Il était le lieutenant, l’ami de Mehdi Berrebouh, tué en avril 2014, « patron du plan stups des Flamants », une cité voisine de Font-Vert. Le clan Berrebouh était réputé très proche des Tir et opposé aux Remadnia dans un conflit de territoires de la drogue, dans le 14e arrondissement de Marseille. Alliance d’intérêts, affirme donc l’accusation. Sur les écoutes téléphoniques, dans les semaines précédant les faits, Sofiane Agueni est à la recherche de « schnills » (téléphones) et de « petits œufs de Pâques » (munitions)…
Les jurés de la cour d’assises auront à décrypter des pages et des pages d’écoutes entre Sofiane Agueni et Eddy Tir, alias « Barabas », le petit-cousin d’Hichem, présenté par les spécialistes du narcobanditisme comme une « jeune tête brûlée ». Il est jugé pour être l’autre commanditaire présumé de la mort de Zakary Remadnia.
Eddy Tir est alors en prison et, avec « Banane », il évoque ce qui s’apparente à un projet criminel. « Faut commencer par les yeux et les oreilles », dit-il en évoquant deux jeunes, très proches de Zakary Remadnia. « Je vais te faire un plan comme un architecte, qui, quoi, qui reste où, qui crie contre qui, qui fréquente qui, qui il faut tuer », affirme Eddy Tir le 22 juin 2014.
La liste des victimes s’allonge
Questionné sur ces propos, Eddy Tir assure qu’il se savait sur écoute. « On se foutait de la gueule des inspecteurs qui nous écoutaient », se défend-il. Quelques heures après la mort de Zakary Remadnia, depuis sa cellule, Eddy a laissé un message à « Banane » : « Néné… faut que tu me fais poser deux bouteilles de champagne pour que je me les fasse rentrer, frère ! Merci, bisous. »
Pour décrypter cette saga de sang, policiers et magistrats disposent d’une décennie de procédures, de dossiers de stupéfiants. « Il y a des choses qu’on ne comprend toujours pas car il manque des témoignages », constate cependant l’un d’eux. La genèse de ce conflit remonterait, selon ces spécialistes, à avril 2010 et à la séquestration d’un membre de la famille Tir. Son épouse aurait alors perdu leur enfant dans une fausse couche.
Du côté des Tir et des Remadnia, on assure que cette histoire d’affrontement entre les deux familles n’est qu’invention policière et littérature journalistique. Et pourtant, la liste des victimes s’allonge… Le 30 août, deux hommes armés se sont introduits, à 5 heures du matin, dans une chambre d’hôtel aux Pennes-Mirabeau, près de Marseille, pour exécuter deux hommes, dont un frère d’Eddy.
Au-delà de ces deux clans, les règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants demeurent un phénomène préoccupant à Marseille : dans les cabinets des juges d’instruction spécialisés, les enquêtes en cours – certaines depuis une dizaine d’années – concernent 144 morts violentes.
Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Source : Le Monde