L’amende forfaitaire de 200 euros pour usage de stupéfiants devrait être généralisée à la rentrée. Cette mesure, mise en place depuis quelques semaines de Rennes à Marseille, peine à convaincre.
Annoncée par Gérard Collomb en 2018 et rendue possible par la réforme de la justice du 23 mars 2019, l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants a commencé son déploiement progressif mi-juin, d’abord dans les circonscriptions de sécurité publique de Rennes (Ille-et-Vilaine), Reims (Marne), Créteil et Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne). Depuis la mi-juillet, l’expérience s’étend à des zones plus vastes : toutes les communes qui dépendent des tribunaux judiciaires de Rennes, Reims, Créteil, Lille et Marseille.
La généralisation de ce dispositif à l’ensemble du territoire, à partir de septembre, est prévue de longue date. Une note du ministère de l’intérieur en date du 8 juillet, citée par Le Point, l’anticipait déjà. Ce qui n’a pas empêché le premier ministre Jean Castex, en déplacement à Nice le 25 juillet, d’en faire l’annonce comme s’il venait d’en décider.
Plutôt que d’envisager une dépénalisation, le gouvernement a préféré réaffirmer l’interdiction. Les objectifs affichés sont clairs : punir plus rapidement les usagers de drogues (quelle que soit la substance consommée), désengorger les tribunaux, simplifier les procédures pour les policiers et gendarmes qui constatent ce délit. Mais comme souvent, plus on y regarde de près, plus ça se complique.
Avec ce nouveau système, un usager de drogue pris sur le fait – qu’il soit en train de consommer ou en possession d’une petite quantité de stupéfiants – peut se voir infliger une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros, minorée à 150 euros si elle est payée dans les quinze jours, et majorée à 450 euros au-delà de 45 jours. Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une contravention : l’usage de drogues reste un délit. Le paiement de l’amende forfaitaire met fin aux poursuites mais entraîne une inscription au casier judiciaire. Le même système est déjà utilisé pour la conduite sans permis ou sans assurance.
Si l’amende forfaitaire représente une corde supplémentaire à l’arc des forces de l’ordre et des parquets, elle est soumise à des conditions strictes. Pour pouvoir faire l’objet de ce procès-verbal électronique, la personne contrôlée doit être majeure, consentante, porter une pièce d’identité sur elle et donner une adresse valide. Tous les cas où d’autres infractions seraient commises en même temps que l’usage de stupéfiants (un outrage, par exemple) sont exclus.
Un consommateur qui ne réunit pas les critères pourra toujours être ramené au commissariat, placé en garde à vue et poursuivi. Sur un peu plus de 100 000 affaires annuelles, la réponse pénale pour usage de stupéfiants s’élève aujourd’hui à 97 %, avec un taux de poursuite de 40,5 %. Dans plus d’un cas sur deux donc, les procédures se concluent par des mesures alternatives aux poursuites : compositions pénales, injonctions thérapeutiques et orientation vers une structure sanitaire, et surtout rappels à la loi (voir le tableau ci-dessous).
Comme le constatait en avril Virginie Gautron, maîtresse de conférences en droit pénal à l’Université de Nantes, « il y a un décalage énorme entre l’interdit légal et la pratique, et heureusement, ai-je envie de dire, car envoyer tous les consommateurs en prison serait inefficace et très problématique ».
« S’il n’est pas possible de prédire le nombre de procédures qui seront orientées en amende forfaitaire délictuelle […], il est permis de considérer qu’une telle réforme allègera significativement la charge des juridictions », estimait, aussi optimiste que vague, l’étude d’impact du projet de loi en avril 2018. Les professionnels de la justice et de la santé, qui pointent surtout l’absence de politique de santé publique, en doutent largement.
S’il ne paie pas son amende, l’auteur des faits risque jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende devant le tribunal correctionnel, c’est-à-dire la même chose qu’une personne ne bénéficiant pas de la « forfaitisation ».
Les quantités maximales permettant de recourir à l’amende forfaitaire sont prévues : jusqu’à 100 grammes pour le cannabis, jusqu’à 10 grammes pour la cocaïne. Mais en matière de lutte contre les stupéfiants, les procureurs sont libres de mener leurs propres politiques pénales, en adaptant les quantités. En France, selon le lieu où l’on est arrêté et éventuellement poursuivi, on ne risque pas la même chose. C’était le cas avant l’amende forfaitaire. Ce sera toujours le cas après.
Les différents procureurs concernés par l’expérimentation ont fixé leurs conditions et adressé des directives précises aux services de police et de gendarmerie. Dans la plupart des juridictions, seul l’usager de cannabis est éligible à une amende forfaitaire, à l’exclusion des autres substances. Et certains parquets ont estimé que le seuil de 100 grammes était trop élevé : la limite est par exemple fixée à 20 grammes à Reims et à Lille, ou 30 grammes à Créteil. Des critères sur l’absence d’antécédents ont souvent été ajoutés, pour écarter les récidivistes du dispositif.
Source : Médiapart.fr