Illustration : installée à Amayé-sur-Seulles, dans le Calvados, avec ses frères Megan, Brian, et son neveu Stan, Joss Piéplu, ici dans une des serres de l’exploitation, cultive et transforme des fleurs de chanvre riches en CBD pour les commercialiser. | DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE
Reportage : depuis décembre 2022, et l’annulation d’un décret gouvernemental, les fleurs de cannabis riches en CBD sont définitivement autorisées à la vente en France. Les producteurs souhaitent désormais « aller plus vite », pour développer une véritable filière locale, capable de rivaliser avec celles de nos voisins italiens ou suisses.
Un vieux corps de ferme au cœur de la campagne calvadosienne, et dans l’une de ses dépendances, des dizaines de fûts entassés. S’en échappe une forte odeur herbacée aux douces notes de poivre. « Chaque variété a son propre parfum », souligne Joss Piéplu, producteur de fleurs de cannabis CBD installé à Amayé-sur-Seulles, près de Caen (Calvados).
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Fin 2019, avec ses frères Brian et Megan, il a fondé OGrennLab, une entreprise de production et de vente de fleurs de CBD. En fleurs, infusion, huile, goutte… On peut acheter du CBD légalement en France dans des magasins dédiés à sa vente, les fameux « CBD Shop ».
« Le CBD ou cannabidiol est un cannabinoïde, une substance naturelle présente dans le cannabis. Contrairement au tétrahydrocannabinol (THC), lui aussi présent dans la plante, le CBD n’a pas de propriétés psychotropes. On lui confère des vertus relaxantes », explique Megan Piéplu. Sur les 8 000 m² de surface de production de la ferme, « tous les plants que nous cultivons sont issus de variétés avec peu de THC, moins de 0,3 %, mais riches en CBD », précise-t-il.
Le 29 décembre, le Conseil d’État a annulé un arrêté gouvernemental interdisant la vente de fleurs et feuilles de cannabis avec un taux de THC inférieur à 0,3 %. Il l’avait déjà suspendu en janvier. « L’interdiction, fin 2021, avait été un véritable coup dur pour la filière, indique Brian Piéplu. En tant que producteurs, nous avons moins subi le contrecoup de cette annonce. L’arrêté ne suspendait pas la culture de fleurs, seulement la vente. Pour les boutiques, en revanche, il y a eu de nombreuses fermetures. Des revendeurs n’ont pas renouvelé leur stock. D’autres ne se sont pas lancés. On a perdu du temps… »
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Depuis l’annulation du texte, « les commandes sont reparties à la hausse. Le téléphone n’arrête pas de sonner », constatent les trois producteurs. Pour répondre à la demande, en 2023, la ferme va s’agrandir et atteindre près de deux hectares de surface cultivable. « À long terme, l’objectif est de pouvoir concurrencer les filières italiennes ou suisses. En augmentant nos capacités de production, pour proposer des fleurs de chanvre avec un prix au kilo plus compétitif, mais aussi des produits plus qualitatifs », explique Joss Piéplu.
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« 95 % du CBD vendu en France vient de l’étranger »
« Actuellement, 95 % des produits à base de CBD proposés en boutique proviennent de l’étranger », estime Jouany Chatoux, producteur de fleur de chanvre à Gentioux-Pigerolles, dans la Creuse, et porte-parole de l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC). « La filière française n’est pas en mesure de s’aligner sur l’Italie ou la Suisse. La lecture des normes européennes y est différente, analyse-t-il. Elles produisent des fleurs avec un taux de THC plus élevé. Pour les commercialiser en France, ou le taux légal est de 0,3 %, elles sont « lavées » avec des solvants ou du CO2 supercritique (gaz permettant l’extraction de certaines molécules). Ce ne sont pas des productions locales saines », déplore l’agriculteur.
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« Il faut sortir le cannabis de l’univers de la drogue et ses fantasmes. Dès qu’on en parle, c’est : « cannabis = Bob Marley = défonce ». Évitons la caricature, pour un vrai débat de société. Sur le cannabis à usage thérapeutique, comme le récréatif », lance Megan Piéplu. Après le CBD, pour une légalisation du cannabis récréatif ? « Oui, bien sûr. Ne soyons pas hypocrites. Les Français sont les plus gros consommateurs européens de cannabis. Il faut qu’on avance sur cette question. Pour construire des véritables filières. Avec une traçabilité. Comme pour le vin ou le fromage », suggère-t-il.
En attendant, pour tester une fiole d’huile de CBD pressée en France, compter entre 25 et jusqu’à 90 €… Pas de quoi refroidir la clientèle, « l’année prochaine, on devrait encore doubler notre chiffre d’affaires », conclut Brian Piéplu.