« Mistral Capital du Stup », le réseau de deal grenoblois a fait parler de lui après la diffusion de deux vidéos. L’une d’elle, à visée promotionnelle, s’inscrit dans la suite d’une stratégie de communication déjà rodée.
Des hommes en armes dans un square pour enfants. Et un gros plan sur des stupéfiants au milieu de confiseries. Deux vidéos tournées au pied de la cité Paul Mistral, à Grenoble (Isère), il y a quelques jours, ont suscité une massive et médiatique intervention des forces de l’ordre, dont le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a revendiqué l’initiative, promettant que « l’État s’imposera face à l’ensauvagement d’une minorité de la société ».
Sur mon instruction directe, une opération de police est en cours dans le Mistral, à #Grenoble. Merci aux effectifs mobilisés pour imposer l’ordre républicain, le seul qui protège.Aucun doute ne doit subsister: l’Etat s’imposera face à l’ensauvagement d’une minorité de la société
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) August 26, 2020
La préfecture de l’Isère a reconnu, auprès de l’AFP, une opération de communication… en réponse à une autre opération de communication, celle des dealers : « Qu’aurait-on dit si l’État n’avait pas montré qu’il n’appartient lui-même pas à quelques-uns ? On aurait parlé d’inaction de l’État. Il s’agissait de réaffirmer sa place », s’est justifié le préfet Lionel Beffre. Bilan de l’opération : une cinquantaine de contrôles mais aucune interpellation, selon l’AFP.
Le parquet de Grenoble nous indique avoir ouvert une enquête pour « association de malfaiteurs », à la suite de la propagation des deux vidéos. Elle pourrait être l’occasion d’établir si les armes qui y sont arborées sont factices ou non. Car le statut de ces deux séquences fait débat.
Armes ?
Alors qu’une des deux séquences s’était hissée jusque sur les plateaux de BFM, le compte Snapchat qui avait publié l’autre s’amusait : « Avec des armes factices on a fait la une des médias ptdr. » Lors du déplacement du préfet dans le quartier Mistral, des « jeunes » ont également crié : « C’était un clip de rap, les armes étaient factices », selon France 3 Alpes.
#Grenoble « C’était un clip de rap, les armes étaient factices » crient les jeunes de #Mistral au préfet de #isere pic.twitter.com/6C9jNMQPPH
— France 3 Alpes (@f3Alpes) August 26, 2020
C’est, enfin, ce que nous assure un autre compte Snapchat, qui gravite dans le marché de la drogue grenoblois (et en propose même à la vente) : « C’est fake. La première vidéo, c’était un clip, c’est tout, rien de grave. »
Pour le parquet de Grenoble, la piste privilégiée, concernant la vidéo d’hommes en armes, est celle d’une «mise en scène» dans le but d’intimider les groupes concurrents. La deuxième vidéo, elle, a en revanche tout d’un clip promotionnel. Et s’inscrit dans la droite ligne d’une stratégie de communication élaborée, mise en place depuis plusieurs années par des dealers du quartier, qui ont créé une véritable marque et le marketing pour la promouvoir.
Ces images ont été postées par le compte Snapchat « TPMT38 », pour «touche pas à mon turf [trafic]» et le numéro du département de l’Isère. C’est ce même compte qui se gaussait d’avoir attiré l’attention de la télévision avec des «armes factices».
La ou les personnes derrière ce pseudo n’hésitent pas, flirtant avec la com’ professionnelle, à utiliser un filtre géolocalisé Snapchat à leur effigie : « 38 Mistral Capital (sic) du stup ». Un logo où s’entremêlent les tours du quartier grenoblois, une feuille de cannabis, et des impacts de balles.
On retrouve des inscriptions du même genre sur les tee-shirts des hommes cagoulés de la vidéo : « Mistral 38 Coffee ». Ou sur les murs en arrière-plan, qui ont depuis été repeints sous surveillance policière, rapporte notre reporter sur place, dont une source raconte : « C’est la quatrième fresque enlevée depuis le confinement. On était sur du panneau publicitaire, avec contact et horaires de vente. »
Il est aisé de retrouver, en partant de ces pseudos, une nébuleuse de profils Snapchat liés à ce qui ressemble à une vraie PME du deal, qui n’hésite pas à se revendiquer comme «numéro 1 en Rhône-Alpes». D’après nos confrères de BFMTV, la concurrence entre bandes rivales pourrait expliquer en partie cette stratégie de com’ poussée à l’extrême : « Les enquêteurs pensent que cette petite entreprise de la drogue est pilotée par un caïd de la cité Mistral qui a, depuis, été incarcéré. Cet homme continuerait, selon certains policiers locaux, à tirer les ficelles depuis sa cellule de prison, souhaitant maintenir sa présence face à une autre bande rivale. »
« La famax »
Les membres de « Mistral Capital du stup » ou « Mistral Connection» , c’est selon, n’en sont pas à leur premier coup de com’. Ils s’adressent régulièrement à « la famax » (la famille) – comprendre : leurs clients – via de nombreux canaux numériques. Et ce, depuis plusieurs mois. À l’été 2019 déjà, un article du média local le Postillon détaillait leur stratégie marketing.
Et dès 2017, le Dauphiné Libéré s’étonne d’une petite annonce passée sur Snapchat, signée Mistral Capital. « On recherche guetteur », dit la fiche de poste : « jeune, physionomiste, maîtrise du deux-roues appréciée, respectueux envers les clients et clientes ». Les horaires de travail sont précisés : 10 heures – 22 heures, « adaptés aux horaires de vente », ainsi que le salaire. « On se doute que c’est [payé] en espèces ! », ajoute le quotidien.
En décembre 2018, on retrouve la trace d’une opération promotionnelle. Cette fois, Mistral Capital du Stup offre un album du rappeur Rohff « à toute personne qui vient acheter un 10 grammes ».
mdr j’ai pas snap j’sais pas comment ca marche j’ai vu les screens pic.twitter.com/fkxkzA0nDj
— Meyer Lanskuurt (@Balkanystan2) December 21, 2018
En janvier, cette cellule se fait remarquer des forces de l’ordre, qui saisissent à l’aéroport de Lyon des milliers de sachets plastiques (pochons) en provenance de Chine, ornés d’une feuille de cannabis et de l’inscription « Mistral 38 ». Quelques mois plus tard, place à la tombola. Cela se passe toujours sur Snapchat, en avril 2019. Lot à gagner : une rutilante console de jeux PS4. Le tirage au sort est retransmis en vidéo, où une main gantée, filmée en gros plan, tire le ticket gagnant. Un bandeau, en travers des images, annonce : « La personne possédant le même ticket est priée de venir chercher son cadeau. »
« Aucun préjugé à Mistral »
La même année, une autre vidéo de promotion promet un accueil chaleureux pour tous et toutes, sur fond de barbecue et de buffet de sodas : « Nous accueillons tout le monde, toutes les classes sociales, origines et sexes confondus, homosexuels ou bisexuels. Aucun préjugé à Mistral […], nous accueillons aussi les femmes avec respect et discrétion. »
Instagram, Snapchat, et même la messagerie cryptée Telegram : aucune plateforme n’est laissée de côté, chaque publication renvoyant, de manière assez efficace, aux multiples façons de joindre « la team ». Ainsi, un numéro Whatsapp est dédié aux commandes supérieures à 100 euros. Il était actif, pour la dernière fois, le 17 août.
En avril 2020, Mistral Connection a ouvert un canal public sur Telegram. Le but : être au plus près de la clientèle en réalisant, en somme, une enquête de satisfaction. « La famax demain nous ouvrons le Telegram en public pour parler avec la team en direct. Nous répondrons à toutes vos questions et aussi si quelque chose vous ferait plaisir sur le terrain, nous prendrons des notes pour essayer de vous les mettre en place », peut-on lire dans les différentes publications annonçant l’ouverture du canal. Sur Telegram, les posts totalisent plusieurs centaines de vues. Il s’agit de détournements de scènes de films, de doublages humoristiques d’Emmanuel Macron vantant les mérites des produits de Mistral Capital…
En direct de Ketama
Plusieurs vidéos, librement accessibles, donnent même à voir la fabrication de shit dans ce qui semble être les vallées marocaines du Rif. La personne qui filme nomme le produit et annonce : « En direct de Ketama [haut lieu de production de haschich, ndlr], la mexicana pour Mistral ». Dans une autre, on voit aussi, de nuit, plusieurs personnes décharger à la chaîne des colis, depuis un petit bateau accosté sur une plage…
La plateforme la plus active demeure Instagram. On trouve sur leur compte – fort de 15 200 abonnés – des stories (suites de vidéos) archivées et méthodiquement classées selon les offres du moment, une carte de fidélité pour « les clients VIP » ainsi que la présentation des produits disponibles et des nouveaux arrivages qui bénéficient chacun d’un clip vidéo. Au choix : le cannabis Oreo, la « cream » et sa « texture moelleuse, son goût sucré », la « mexicana qui vous rendra complètement loco» ou encore le bio, « un produit spécial fabriqué avec de l’engrais biologique dans les hauteurs de Ketama au Maroc, par l’un des meilleurs jibli [ethnie du nord du Maroc, ndlr] ». La vidéo précise encore : « Dégustez-le dans un lieu très calme. Le bio vous enverra dans l’espace. »
Une hyperprésence sur les réseaux qui a permis une continuité de l’activité, même en période de confinement. Sur Telegram, l’équipe «souhaite un bon confinement à tous» et rappelle : « Oubliez pas de venir récupérer vos 10 grammes à 50 euros et vos plaques à 500 euros. » Safety first : sur Instagram, cette fois, on enjoint les clients à porter un masque et des gants pour récupérer leur commande. Les livreurs, eux aussi, semblent avoir joué le jeu. Et le service est manifestement apprécié puisqu’un client commente, photo de sa livraison à l’appui : « Livré avec port du masque et gants… UberEats et Deliveroo, prenez exemple bandes de shlag ! »