Le chef de l’État entame ce mercredi une visite de trois jours dans la ville. Il doit y dévoiler son projet « Marseille en grand », destiné à résoudre les nombreux problèmes qui la plombent.
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille et Stéphanie Aubert
Trois jours sur place, une collection de ministres et un programme brassant large : des écoles aux transports en passant par l’hôpital, la sécurité, la culture et même un sommet mondial sur l’environnement. On pourrait croire à une visite de chef d’État étranger… Sauf que c’est à Marseille, la deuxième ville du pays avec ses quelque 875 000 habitants, qu’Emmanuel Macron va poser ses valises à partir de ce mercredi. Il y détaillera un plan, « Marseille en grand », déjà présenté comme « inédit » de par son ampleur et les budgets débloqués. Cela fait des mois que le président et le nouveau maire PS Benoît Payan ont entamé des échanges, le second ayant sollicité le premier face aux urgences auxquelles sa ville est confrontée.
Si la question des écoles, dont la nouvelle majorité municipale avait fait sa priorité de campagne, a été au cœur des discussions, d’autres volets tout aussi en souffrance, comme le logement ou les transports, ont été posés sur la table dès le 10 mars, lors d’un déjeuner à l’Élysée entre les deux hommes. Le principe d’une aide conséquente de l’État acté, les ministères ont pris le relais pour définir les priorités et, surtout, plancher sur les modalités de mise en œuvre sur un terrain glissant, la plupart des sujets concernant des compétences territoriales. D’où la question, lancinante depuis l’annonce du plan : l’intervention étatique marque-t-elle une mise sous tutelle de la ville ? Certainement pas, rétorque-t-on à la mairie : « Je ne veux pas de chèque, parce que je veux [l’État] comme partenaire, pas comme financeur. Pour ne pas qu’on dise que l’argent est englouti je ne sais où », affirme le maire. Du côté de l’Élysée, on préfère aussi parler « d’accompagnement » et de « co-construction ».
D’ailleurs, insiste-t-on encore, l’État ne « débarque pas » à Marseille. Il s’agirait plutôt de répondre à des urgences qui, sans être propres à la ville, sont ici cumulées sans que la réponse des pouvoirs locaux comme nationaux n’ait été réellement à la hauteur. Et si les urgences durent – la plupart des thématiques abordées lors de ce déplacement ne sont pas nouvelles – outre le manque de moyens, c’est bien « l’incurie » qui gangrène les institutions marseillaises depuis des décennies qui est pointée du doigt par l’Élysée. Le maire d’un quart de siècle à Marseille aujourd’hui retraité, Jean-Claude Gaudin (LR), appréciera…
« Question d’intérêt national »
Le dialogue semble plus fluide avec le maire intronisé en décembre, après la démission de Michèle Rubirola. Entre Benoît Payan, qui fustige depuis son arrivée le bilan «calamiteux» et les caisses vides laissées par l’équipe LR sortante, et Emmanuel Macron qui clame à longueur d’interviews son amour pour la ville, le courant est bien passé, murmure-t-on de part et d’autre. C’est l’élu marseillais lui-même qui serait à l’origine du déjeuner à l’Élysée. C’est encore lui que le président de la République ira visiter à l’hôtel de ville dès son arrivée ce mercredi après-midi. Au-delà des questions budgétaires, c’est bien sur une méthode que les deux hommes de 43 ans se seraient mis d’accord. Et notamment l’idée, pour un certain nombre de dossiers, de créer des structures ad hoc copilotées par les institutions locales et nationales pour plus d’efficacité.
Car l’État qui se mêle des affaires marseillaises, ce n’est pas une première. En 2012 déjà, Jean-Marc Ayrault et son gouvernement socialiste avaient débarqué en force dans la ville pour un comité interministériel concernant, déjà, l’éducation et la sécurité. Le « destin » de Marseille est « une question d’intérêt national » déclarait alors le Premier ministre. Puis Valls, son successeur, refaisait en 2015 le coup du gouvernement délocalisé. Par la suite, le scandale des écoles en 2016, après que les médias, dont Libération, ont dénoncé l’état de délabrement de nombreux établissements de la ville, avait mobilisé deux ministres de l’Éducation, et tous ceux qui ont occupé l’Intérieur ont fait le voyage pour multiplier les annonces, avec une efficacité toute relative. La faute à qui ? « Les responsabilités sont largement partagées », arbitre Nicolas Maisetti, docteur en sciences politiques entre « mauvaise gestion des politiques publiques locales » et « État trop distant ».
Rien de nouveau sous le soleil ? Si, justement, veut croire l’Élysée, pour qui la méthode d’approche change radicalement la donne. A commencer par ces créations de structures ad hoc, comme pour la rénovation des écoles, l’un des points centraux du grand tour présidentiel. Jeudi, après une visite le matin à l’école Bouge, dans le XIIIe arrondissement au nord de la ville et une rencontre avec les acteurs de terrain, des enseignants au personnel municipal, Emmanuel Macron devrait enfin détailler le contour de ce volet du plan, chiffré pour l’heure autour d’un milliard d’euros.
Bras de fer
Même logique d’outil spécifique sur le volet mobilité. Objectif : fluidifier les transports intramétropole mais aussi désenclaver le nord de la ville – qui s’étend sur un territoire deux fois plus grand que Paris – et réduire la fracture historique qui sépare les quartiers populaires du centre et du sud plus aisés (il faut par exemple une heure de transports en commun pour aller du Vieux-Port à la cité de la Castellane, à cheval entre les XVe et XVIe arrondissements). Le Président rencontrera jeudi, lors d’un déjeuner, les acteurs locaux, à commencer par la Métropole, compétente en la matière. De quoi ajouter un peu de piment politique à la virée présidentielle : le bras de fer entre l’institution, gérée par Martine Vassal (LR), et la municipalité Printemps marseillais a pollué la plupart des dossiers depuis les municipales. « Je suis un maire qui ne peut même pas changer une ampoule », pestait encore Benoît Payan dans Libération cet été.
Au-delà des bisbilles politiques, c’est bien la pertinence même de l’outil métropolitain qui est questionnée. Ledit outil que Jean-Marc Ayrault, en 2012, avait justement présenté comme une solution à de nombreux maux… La logique de gestion d’enveloppes par territoires, plus qu’une vision globale, montrant ses limites, l’État espère aider l’institution à revoir sa copie.
En matière de logements, comme pour l’hôpital marseillais, la stratégie semble plutôt être de renforcer les dispositifs existants, notamment en boostant les dossiers déjà lancés. Avant de débloquer de nouveaux crédits pour la rénovation urbaine (300 millions d’euros déjà engagés sur le papier), l’État voudrait accélérer la mise en œuvre de l’existant, tout comme sur le volet sensible de la résorption de l’habitat indigne, dont le gouvernement se mêle d’autant plus depuis le drame de la rue d’Aubagne en 2018, qui a causé la mort de huit personnes. Déjà à l’époque, une structure dédiée avait été créée, mais les lenteurs de la mise en œuvre du programme – seulement 500 habitations réhabilitées sur 10 000 identifiées comme vétustes – nécessite d’y revenir. Encore un dossier à voir avec la Métropole. Sur le plan sanitaire, l’État devrait annoncer la récupération d’une partie de la dette des hôpitaux universitaires de la ville. L’ensemble des mesures de ce plan «en grand» sera détaillé jeudi en fin d’après-midi depuis le palais du Pharo.
Airs de capitale
Reste l’épineux sujet de la sécurité, d’autant que l’été a été particulièrement meurtrier pour ce qui est de la guerre des réseaux de drogue. Le Président, qui a prévu une rencontre avec la police dès ce mercredi soir sur le site de la division Nord, devrait surtout réitérer les promesses déjà ébauchées par Gérald Darmanin, désormais visiteur régulier à Marseille, qui annonçait en février un renfort de 300 policiers nets, et celles la semaine dernière d’Eric Dupond-Moretti, qui devrait lui aussi agir sur les effectifs d’un tribunal en souffrance chronique – huit magistrats, par exemple, pour la Jirs, la juridiction interrégionale spécialisée en charge des affaires de banditisme de Perpignan à Nice, en passant par la Corse…
Il y en aura aussi pour la culture : développer l’attractivité en matière de tournages cinématographiques et amplifier le rayonnement méditerranéen de la ville autour de son port. De quoi occuper le Président sur deux jours, le troisième étant consacré au Congrès mondial de la nature, dont Emmanuel Macron assurera l’ouverture, vendredi. Toujours à Marseille, qui décidément, prend plus que jamais des airs de capitale en cette rentrée. Ce qui n’échappera sûrement pas aux anti pass sanitaire, qui pourraient réserver un accueil tout particulier au chef de l’État. Un front supplémentaire, s’il en manquait.
Source : Libération.fr