Le gérant et deux employés d’une enseigne spécialisée dans la vente de matériel pour la culture de plantes tropicales comparaîtront devant le tribunal pour un délit inhabituel « d’aide à l’usage de produits stupéfiants ».
Dans ces jardineries spécialisées de Magnanville et de Voisins-le-Bretonneux (Yvelines), on a la main verte. Peut-être même un peu trop. Le patron des deux enseignes « Culture Indoor » des Yvelines, âgé de 35 ans, ainsi que deux de ses employés, âgés de 25 et 37 ans, ont été déférés ce mercredi au palais de justice de Versailles pour le délit peu connu « d’aide à l’usage pour autrui de produits stupéfiants ». Il est tout de même puni de dix ans d’emprisonnement.
Depuis deux ans et demi, ils sont soupçonnés de vendre, non pas de la drogue ni même des graines, mais du matériel spécifique à la culture de cannabis comme des lampes à sodium, de l’engrais ou des chambres de culture. Mercredi soir, le trio a été remis en liberté sous contrôle judiciaire dans l’attente de son jugement devant le tribunal correctionnel qui se tiendra le 12 mai 2021.
Ces derniers mois, les gendarmes de la brigade de recherches de Rambouillet s’étaient intéressés à ces curieux commerces. Les deux boutiques, qui sont des franchises d’un grand groupe, fournissent des articles spécialisés dans la culture des plantes tropicales, inadaptées au climat européen. Mais en vitrine, tous les objets qui sont proposés sont bel et bien avec la culture du cannabis.
Les magasins placés sur écoute, une vingtaine de cultivateurs interpellés
Les militaires surveillent les lieux et les placent sur écoutes. Ils surprennent les conversations des deux salariés quand ceux-ci répondent aux questions de clients en quête de conseils. Au bout du fil, les employés des sites des Yvelines partagent leur expertise sur la manière de procéder et détaillent les articles qu’il faut acheter pour faire pousser correctement pousser ses plantes.
Les deux boutiques des Yvelines, qui sont des franchises d’un grand groupe, se présentent comme une enseigne qui fournit des articles spécialisés dans la culture des plantes tropicales.
Les forces de l’ordre épluchent alors le listing des clients de la société et découvrent que tous sont des cultivateurs. Ils interpellent alors une vingtaine d’entre eux, mettent la main sur 88 pieds d’herbe, 2,6 kilos de résine et sur 21 chambres de culture. Les clients sont entendus par les militaires et voient leur marchandise saisie. Tous expliquent qu’ils ne veulent pas être mêlés aux trafics de drogue dans les quartiers.
« Ils se justifient d’ailleurs en disant qu’ils ne font de mal à personne en consommant ces produits purement biologiques et naturels », raconte, septique, une source proche du dossier. Laquelle précise aussi que « dans certains cas, la chambre de culture était située près de celle des enfants ». Ces consommateurs bénéficieront de procédure alternative pour usage de produits stupéfiants.
Les trois suspects ont été interpellés dimanche soir à leurs domiciles situés respectivement à Boissy-Mauvoisin, Voisins-le-Bretonneux et Grainville. Au cours des perquisitions, les forces de l’ordre ont mis la main sur 200 grammes de cannabis et des cartes de visite de dealers rangées dans les tiroirs de l’un des magasins. Les trois hommes sont connus de la justice pour des petits délits sans gravité.
Durant leurs auditions, ils ont assuré n’être complices d’aucun trafic. Le patron et ses deux salariés sont tous les trois consommateurs réguliers. L’un d’eux souffre d’une maladie invalidante et dit utiliser le cannabis de manière thérapeutique. Les trois hommes se réfugient derrière l’idée qu’ils ne fournissaient que des conseils de botanique, sans jamais évoquer la culture d’herbe proprement dite.
« C’est comme si on poursuivait tous les buralistes qui vendent des feuilles à rouler »
Le défenseur de l’un des employés, Me Nicolas Goux, s’insurge contre cette procédure qu’il juge déloyale. « Mon client et les deux autres n’ont fait qu’exercer leur liberté de vendre. Le jeune salarié que je représente avait même été formé pour éviter soigneusement de répondre aux questions techniques concernant la culture du cannabis. Il me paraît inconcevable d’affirmer que le silence est une manière d’inciter quelqu’un à agir. C’est une vision hypocrite ! C’est comme si on poursuivait tous les buralistes qui vendent des grandes feuilles à rouler alors que tout le monde sait qu’elles sont conçues pour rouler des joints. »
L’avocat rappelle également que son client n’est que l’employé d’une jardinerie, laquelle vendait des produits qu’elle était en droit de commercialiser.
Du côté du parquet de Versailles, qui défend cette qualification originale, un magistrat estime que ce débat n’a pas lieu d’être car le droit pénal considère les personnes comme des êtres responsables et capables d’apprécier ce qui est de l’ordre du permis et de l’interdit. La justice tranchera au printemps.
Source : Leparisien.fr